Macbeth sans essence (22 avril 2024)

A mettre en scène sans rythme,
On théâtre sans gloire.


Silvia Costa fait penser à certains entraineurs de football qui veulent tordre les règles de l'art à leur vision du jeu mais tel le ballon, la langue de Shakespeare, vive, rebondit, leur échappe et part dans les pieds de l'adversaire qui s'appelle ici doux ennui. Le rythme est l'essence même de l'art shakespearien et Sylvia Costa s'y refuse faisant jouer ses acteurs comme si leurs partenaires n'existaient pas. Statiques, les comédiens ne se parlent pas et refusent cette verve joyeuse en déséquilibre galopant née du pentamètre iambique. Au lieu d'essayer de compenser ce handicap, Silvia Costa fait jouer les acteurs côte à côte, rarement ensemble, ne profitant pas de cette opportunité qu'est le dialogue pour faire que le texte se mette en mouvement.

Le rythme shakespearien n'a rien de frénétique. Il tient d'un développement maitrisé dans chaque vers qui conserve le spectateur en alerte. Il y a un phénomène très comparable chez Bach où pour certaines partitions le rythme peut sembler intransigeant, inaltérable et à force, équivalent ou monotone mais il suffit de tendre l'oreille pour se laisser séduire par toutes les variations harmoniques et mélodiques qui rendent chaque phrase différente de la précédente.

Romeo Castellucci, dont Silvia Costa est une disciple, représente tout ce que je déteste dans le théâtre : la négation du texte, la provocation à la petite semaine pour choquer un bourgeois qui n'existe pas, des artifices vides de sens ou trop plein de ceux-ci. Silvia Costa nous épargne les effets de trop, la mélasse noire sur la vache de concours agricole comme dans Moses und Aron ou la désormais fameuse machine à laver de Bérénice. William Shakespeare déploie tout ce que j'aime dans le théâtre, pas tant sa poésie et cette capacité à faire émerger sans cesse des images, mais le rythme infatigable de la phrase qui vous porte. Le verbe shakespearien ne cesse d'être vif. Rien ne l'arrête. La joie domine, celle du miracle permanent de ces mots qui se succèdent, se répandent, multiplient les sens. On tend à oublier que Shakespeare est avant tout un poète et que le français est une langue boiteuse pour lui redonner toute sa pleine dimension. Ecouter Shakespeare en français revient à regarder un manchot jongler. La tâche du traducteur est impossible car elle doit résoudre une équation géante dans un espace aussi resserré que celui du vers, le respect du rythme et du foisonnement poétique. 

Comme Christiane Jatahy plus tôt dans la saison et dans une autre maison, Silvia Costa se fout bien de Shakespeare qui n'est en rien une matière à honorer, à sublimer mais un canevas à partir duquel construire une autre œuvre telle une suite de tableaux dont on se demande ce qu'ils nous racontent à propos de ce roi d'Ecosse emporté par la folie inextinguible et aspirante du pouvoir.

Silvia Costa reste, malgré tout, une castelluciste, une petite castelluciste en nous imposant tout du long un bruit blanc, un bruit "à quoi bon", élément irritant que l'on tend à oublier comme le nourrisson qui ne l'entend plus et tombe dans le sommeil. De cet effet, une seule évocation remonte, celle de l'air conditionné des villes américaines en été, sans que Macbeth y trouve sa place. Et à se normaliser, elle n'en fait pas autant un proposition personnelle mais un forme banale du spectacle public, tel cet anneau géant qui pourrait se retrouver- bingo- pour les vingt heures ou presque du Ring

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Combien de types à poil et de lave-linges défilent sur scène? Aucun. Silvia Costa, c'est du Castelluci sans la provoc'.
Faut-il aller ? On n'est pas curieux pour rien.
Faut-il y retourner ? On n'est pas maso non plus.
Et Shakespeare ? Il réclame mise en scène simple, voire simpliste, please.
Et les acteurs? Pauvre Noah Morgensztern, acteur de l'impossible dans Le SilenceScapin après Benjamin Lavernhe et là dans un Macbeth dévitalisé. Julie Sicard aussi s'en tire pas mal après un série de rôles difficiles (Le mariage forcé, Le silence)des foldingues, sillon dont elle nous offre toutes les variations, ou comme ce soir dont elle touche les limites.

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