Les fourberies de Benjamin à la Comédie-Française (7 février 2024)

Comme l'a dit Lou Bill Baker, avec l'accent québécois de rigueur, en d'autres circonstances: "Il a du talent, p'têt ben du génie". Quand la (re)découverte d'un acteur au théâtre montre à quel point le cinéma nous cache encore ce que pourrait devenir Benjamin Lavernhe. 


Habitué à jouer les nigauds bourgeois au cinéma, paumé dans De grandes espérances ou enivré par le fric dans Le sens de la fête, le génie comique de Benjamin Lavernhe est encore mal servi par le cinéma. Son immense talent avait affleuré dans L'opéra de quat'sous, mis en scène par Thomas Ostermeieroù, dans le rôle de Brown il s'agitait avec précision et déployait toutes les finesses et ficelles d'un personnage mû par la corruption. Mais dans Scapin, il ne s'amuse plus. Il va plus loin. Il démontre sans effet et sans emphase toute sa puissance comique. Lavernhe s'est un peu fait une tête de Jean-Luc Bideau (un compliment). Mal rasé plus comme un souillon que comme un hipster, la moustache au vent, il sort de sa trappe tel Mordicus dans 1 rue Sésame, deus ex machina des deux heures à venir. Cette pièce de Molière, pas forcément la meilleure, ni la plus profonde même, dans laquelle on retrouve ses obsessions, les conflits de génération et ceux de notre époque, l'empilement normatif ("voyez combien d’appels et de degrés de juridiction, combien de procédures embarrassantes, combien d’animaux ravissants par les griffes desquels il vous faudra passer, sergents, procureurs, avocats, greffiers, substituts, rapporteurs, juges et leurs clercs") a un gout d'enfance et de Profil d'une œuvreComme toute farce, Les fourberies de Scapin tiennent aux comédiens -là, c'est le comédien-, au respect du rythme et des passages obligés, souvenirs de collège qui remontent attendus et sans prévenir ("Mais que diable allait-il faire à cette galère ?")

Dans les premières scènes, Benjamin Lavernhe maîtrise sa scansion, taquine et imparable, comme s'il refusait la diction habituelle et tracée du vers de Molière. Tel un chat, il est plus lent et matois. Il retient, sans tirer sur la laisse, le diable qu'il va déchainer dans les actes suivants. Scapin avec Lavernhe est la rencontre du Goupil du Roman de Renart et de Scaramouche. Ce grand acteur est aussi un grand corps. Il ne s'agit pas de taille, même si Benjamin Lavernhe mesure 1,87 mètres, mais de cette capacité à l'utiliser ou à le retenir alors que Scapin pourrait appeler à l'agitation. Jamais la frénésie ne prend le pas sur la malice.

On devrait se garder d'un mot que l'on utilise trop souvent mais ce 7 février, nous avons vu un génie.

Avouons-le, je débarque. Ce spectacle joué à la Comédie-Française plus de 1 500 fois depuis 1680 et quelques fois dans cette mise en scène depuis 2017 demeurera un classique au carré dans cette forme tant que Benjamin Lavernhe interprètera le rôle-titre. Avouons-le encore dans cette chronique en forme de confession, après avoir vu Noam Morgensztern dans Le Silence la semaine précédente dans un rôle très intérieur et muet, il reste difficile d'imaginer qu'il déploiera une énergie comique dévastatrice -il le peut certainement- à la hauteur de celle de Benjamin Lavernhe. Mais les grands comédiens savent faire oublier qui il sont, qui ils furent en trimballant toujours un bout d'eux-mêmes.

Le duo Podalydès-Ruf suit sa ligne artistique, sombre et patinée. Même en pleine lumière, la scénographie -ne dîtes toujours pas décor- est épaisse et fatiguée comme des antiquaires travaillent volontairement un meuble Louis XIV sorti d'une cure de jouvence chez l'ébéniste pour lui donner une histoire. Je redoute le jour où Eric Ruf, que je ne connais pas, m'invitera à diner chez lui. Même au mois de juin, je ne devrai pas oublier de venir avec une lampe de poche ou pour faire époque, mes bougies et leur chandelier que j'aurai omis d'astiquer pendant des mois.

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Faut-il y aller? Pourquoi bouder son plaisir?
Faut-il y aller ? Oui mais pas ensemble. L'algorithme de la Comédie- Française dans sa grande misanthropie -aurait-il vu  trop de Molière?- a réussi à nous proposer quatre places séparées.
Et les autres comédiens? Benjamin Lavernhe est tellement bon qu'ils paraissent, malgré leurs talents, pâlots à côté.
Et Rachida Dati? Il faut qu'elle vienne. Elle bosse à côté!
Faut-il y aller en scooter? Après le pneu crevé de Cyrano, un malotrus a forcé le top-case et le coffre pour ne rien y trouver...


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