Le silence, ça n'existe pas - Le Silence à la Comédie-Française (1er février 2024)

Avec Le silence, la Comédie-Française propose une expérience radicale qui n'ira pas jusqu'à faire taire tous les sons parasites dont les spectateurs sont si coutumiers, surtout en hiver, une pièce en morceaux qui pose plus de questions qu'elle n'offre de certitudes.


Le silence n'existe pas, surtout au théâtre. Il y a toujours quelqu'un qui tousse, surtout en cette saison. Il y aura encore un autre qui éternue, surtout dans un public où à 50 ans, vous avez le privilège de vous sentir jeune. Demandez à Fabrice Luchini qui vous dira que la manière la plus efficace de commander le silence est de parler d'argent, pas tant de l'argent comme le ferait un Milton Friedman, ni de celui des autres, pas même celui de la vieille, mais de son argent à soi, de son assurance-vie. Et quand le public sa tait enfin, le climatiseur continue de ronronner.

Professoral et sur de moi, j'ai l'habitude d'écrire que le théâtre repose sur un triptyque que sont la mise en scène, les acteurs et le texte. Dans Le silence (chut, il y a un indice dans le titre), le texte n’est pas absent mais il est mini-minimal dans sa version audible. Et quand un de ces trois éléments manque, comme ici de manière volontaire, les deux autres compensent, voire surcompensent. Pour le non-théâtre, la mise en scène, sa dimension totale, souvent bouffée par les trucs et les effets, essaye de faire oublier que les mots ont une force, une puissance magique qu'une large palette visuelle, voire sensorielle, peine à faire oublier. Quand Luchini est sur scène, la mise en scène est réduite, voire transparente, le texte est de qualité et le jeu exceptionnel. Incise: si le personnage Luchini peut agacer, si le Luchini de cinéma est souvent aussi bon que conventionnel, Luchini qui lit reste un moment exceptionnel du niveau de la purée de Robuchon qui nous fait regretter qu'il ne se mêle pas avec d'autres comédiens. Fin de l'incise. Ce soir, le texte est là mais n'est pas dit comme l'explique Guillaume Poix dans le livret de salle, intelligent et clair, véritable compagnon d'un spectacle exigeant qui mérite un guide à indices pour saisir ce qui se passe devant nous. Les comédiens pourraient compenser l’absence de texte par le mime, exercice auquel ils se refusent ici, même s'ils ne manquent pas d'expressivité, à commencer par Marina Hands.

Baptiste Chabauty erre comme un spectre, lent et absent. Il se déplace dans tout l'espace pendant toute la pièce, se fige près de moi. Il est là quand les spectateurs entrent dans la salle. Au fil de la pièce, des traits, des histoires pour les autres personnages se dessinent, et surtout des souffrances obsessionnelles. Mais de lui, cet être debout dont on peut se demander s'il est vivant ou mort, on ne saura rien. On a l'impression que les acteurs jouent au roi du silence, qu'ils ont les mots au bord des lèvres, qu'ils sont prêts à sortir mais que par défi ou douleurs trop vives il n'en est rien.

Le Silence pose plus de questions qu'il n'apporte de satisfactions. Qu'est ce silence ? Un retrait volontaire ? L'essence de bruit ? Une incapacité de s’exprimer ? Un jeu pour voir ce qu'il en serait de dire sans parler ? Le silence n'est pas naturel. Il n'est pas artificiel non plus. Il est expérimental et il entraine le spectateur vers une intériorité partagée qui prend du temps à s'installer tellement elle est rare dans un monde frénétique, accéléré, plein de stimuli. Si le but de Guillaume Poix et Lorraine de Sagazan était de plonger le public vers le ressenti, mon esprit prend le dessus alors que les sensations s’étaient imposés une semaine plus tôt chez Shakespeare.

Le Comédie-Française, cette maison qui cherche, qui pousse, et avec cette pièce, elle lance une piste qui pourrait en donner d'autres plus abouties, débarrassées de ces vidéos qui nous révéleraient l'intériorité des personnages. Nous savons voir et les acteurs savent jouer. Le spectateur se croit plus à Paris+ par Art Basel devant une performance d'art contemporain qui confine plus à l'exercice, à la variation, qu’au spectacle narratif. Sans texte, nous n’avons pas besoin d'une béquille qui, avec ses ralentis, ressemble au travail de Bill Viola, découvert à Londres à la National Gallery en 2003, qui m’avait alors ébloui et dont le style me parut daté quand je le revis à l'Opéra Bastille, 15 ans plus tard, dans le Tristan und Isolde mis scène par Peter Sellars. Les gouts changent. Les enthousiasmes se déplacent. Ils ne s’empilent pas toujours.

Poix et Sagazan proposent une pièce courte à déflagration lente dont les images, celles de la scène, pas des inévitables écrans, remontent des heures, des jours plus tard et reconstituent le puzzle de la représentation au fur et à mesure. Des fragments nous sont présentés -pourraient-ils l’être dans un autre ordre? - et ce sera à notre tour de les reconstituer et de les assembler. Le Silence est un défi lancé au spectateur qui doit se plonger dans une écoute active comme s'il voyait avec les oreilles. Le dispositif bi-frontal force le spectateur à se concentrer. Tout le monde n'est pas sur scène mais personne n'est vraiment dans l'ombre.

Et à la fin, on aimerait entendre Gilbert Bécaud nous chanter: "Le silence, ça n'existe paaas!"

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Est-ce long? En temps réel ou en temps ressenti?
Fallait-il y aller? Je vous aurais prévenu.
Et fallait-il y aller? Il faut toujours encourager les tentatives plus radicales. Le spectateur est aussi un chercheur.
Et Rachida Dati? D'autres pièces à la Comédie-Française conviendraient peut-être mieux à cette adepte du mot qui fait mouche.
C'est bien ? Avec un sourire pincé, je pourrais dire c'est intéressant. Mais, je serais injuste.
Et c'est bien? Nous avons l'impression de voir une fusée en train de décoller de dix, de vingt, de trente mètres sans totalement s'arracher de son pas de tir.
Et le chien ? Il est le seul élément aléatoire dans un spectacle sans hasard.

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