(petite) fatigue du non-théâtre - Les Emigrants au Théâtre de l'Odéon (19 janvier 2024)

Le seul point positif de cette trèèèèèèèèès longue soirée aura été de clamer "J'y étais" sans point d'exclamation pour une pièce qui s'écrase dans les limbes de l'ennui, dernier cercle avant de tomber dans le vide.

Krystian Lupa, metteur en scène des Emigrants et seul responsable de ces plus de quatre heures à l'Odéon, pratique, comme d'autres de ses plus talentueux pairs, le non-théâtre, ce mode de représentation qui se moque bien du texte, qui préfère laisser les comédiens se laisser aller à dire des mots qui ont perdu toute force, presque toute substance et qui finissent sur la jante tellement ils ont pratiqué des allers-retours. Nous partons ici d'un texte  allemand qui n'est pas calibré pour la scène, qui va être traduit en français et sera joué avec une grande place donnée à l'improvisation pour être enfin dirigé par un metteur en scène qui ne maitrise pas totalement le français comme l'indique, selon le livret de salle, la présence d'une "collaboratrice en charge de la traduction du polonais vers le français" sans que soit nécessaire une "collaboratrice en charge de la traduction du français vers le polonais". 

A force de non-théâtre, les non-spectateurs vont voir ces non-pièces, injouables parce que bancales, qui iront bourrer les archives d'un art de plus en plus éphémère si l'on en croit la Cour des comptes -l'intérêt pour la chose artistique ne manque jamais de se doubler de la lecture des rapports de la Cour des Comptes, souvent plus passionnants que les pièces elles-mêmes - pointant le faible nombre moyen de représentations d'un spectacle : 3,7 seulement dans un centre dramatique national et 2,3 dans une scène nationale. Il est probable que plus personne ne verra ces Emigrants à partir du 4 février 2024, jour de la dernière représentation à l'Odéon. Il ne me restera plus qu'un vertige et une exaltation vaine, ceux de voir ce que l'on ne verra plus et qui fait, malgré lui, du théâtre, un art éphémère.

L'objet de l'écriture de W. G. Sebald, dont s'inspire cette pièce, est de saisir ce qui nous échappe, ce que nous ne savons pas formuler, ce que rend impossible cette langue proposée par Krystian Lupa, si molle, si absente, si fade. De Sebald,  j'avais bien lu Austerlitz. Je crois que c'était bien. Je n'en ai plus aucun souvenir mais pas de celui de phrases creuses et indigentes. A essayer de contempler tant de neurasthénie, on a du mal à imaginer la violence qui semble avoir présidé durant les répétitions et qui ont fait déclarer forfait à la Comédie de Genève, au Festival d'Avignon et au Théâtre du Maillon à Strasbourg. Peut-être que tout le monde était si épuisé des sorties de Lupa que l'énergie est restée en coulisses.

Krystian Lupa se délecte de son narcissisme abscons. Deux ex machina autant que perniciosius deus, il se fout des autres, de la scène et il se contente de contempler ses effets. Son art le plus singulier, qui tient de la magie, reste de faire durer toute minute plus de soixante secondes. Et on en vient dans la première partie à désespérer que le personnage principal ne se suicide. Quelques idées émergent comme cet usage de la vidéo qui double ce qui se passe sur scène et dont l'esthétique blafarde et chiche ressemble aux clips de new wave qui inondaient les antennes de MTV dans les années 80.

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Rachida Dati était-elle dans la salle? Pas vu et tant mieux pour elle et pour l'Odéon.  Je doute qu'elle signe la pétition distribué à l'entrée et motivée par le départ annoncé de son directeur Stéphane Braunschweig. 
Fallait-il y aller? La curiosité peut vous duper.
Fallait-il rester? Nous partîmes quatre mais par un grand soupir, je me vis tout seul au moment d'applaudir.
Et les acteurs? Translucides tellement ils ne sont pas dirigés.
Est-ce qu'on crie à l'Odéon ? Pas sur scène. On y annone.
Et sur l'échelle du ratage de Caroline Guiela Nguyen (celui de Fraternité, conte fantastique, pas de Saïgon)? On n'est pas loin du 9 sur 10 même si pour Les Emigrants, l'absence de naïveté n'incite à aucune indulgence.
Est-ce un chef d'œuvre? A ce rythme, la liste est très, très longue.
Je m'arrête là? Oui.

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