De l'avantage de jouer à domicile - Le songe d'une nuit d'été au Théâtre de la Ville (23 janvier)

En sport, jouer à domicile permet de gagner plus souvent. On retrouve cet avantage au Théâtre de la Ville où la troupe y présente Le songe d'une nuit d'été dans lequel la poésie de Shakespeare se double de celle proposée par Emmanuel Demarcy-Mota, metteur en scène et directeur du lieu.


Meilleure et plus aimable que le PSG, la troupe du Théâtre de la Ville dirigée par Emmanuel Demarcy-Mota (EDM) joue à domicile et gagne. EDM a presque façonné le terrain à la mesure de son équipe. Comme pour le ballet de l'Opéra de Paris ou la Comédie-Française, avoir des artistes résidents représente un indéniable avantage pour offrir un spectacle abouti et ici, lisible, en plus du bonheur de retrouver, au fil des ans, des figures familières dans différents rôles, dans de nouvelles situations. 

Le Songe d'une nuit d'été est une pièce bordélique qui a besoin d'un metteur en scène pour être aimable. Je l'avais déjà vu en octobre dernier dans une version chiche, foutraque et minérale proposée par Gwenaël Morin avec un décor presque nu, comme les comédiens. Les skaters auraient pu dire que c'était freestyle. On n'y comprenait rien sans vraiment laisser son esprit divaguer. Ce Songe d'une nuit d'été, son Songedonne à Emmanuel Demarcy-Mota l'occasion de nous accueillir dans son théâtre qui sent encore le peinture. Après sept ans de travaux, en chef de chantier, il en connait tous les recoins et saura mettre à profit le moindre centimètre pour monter Shakespeare, non sur un plateau mais dans un volume dont il sait totalement tirer partie, des lumières, des rideaux qui se succèdent, des trappes dont émergent la tête des lutins, de tout ce qu'il peut déployer pour accompagner l'imagination tous azimuts de Shakespeare, ses pirouettes, ses images, ses énumérations. Le Songe a un versant plus piquant, kaléidoscope des relations amoureuses, les amours  empoisonnées, les amours impossibles, les amours volées, les amours contrariées (encore une énumération shakespearienne) qu'Emmanuel Demarcy-Mota rend fluide comme une cavalcade.

La pièce est incompréhensible autant que la poésie est souvent imbitable, ce qui n'enlève rien à sa beauté et sa pertinence. Là, tout passe par l'utilisation élargie de la forme du théâtre et on comprend pourquoi il s'agit de l'une des pièces les plus représentées de Shakespeare car elle offre ce défi insensé au metteur en scène de transformer un texte en une expérience sensorielle, sans les parfums artificiels, comme je l'ai vécu ce soir. Le Songe a des allures psychédéliques et Emmanuel Demarcy-Mota arrive à jouer avec la nécessité de tirer un fil pour ne pas perdre le spectateur et la fantaisie nécessaire (oh, oxymore). Ainsi, il peut nous proposer trois Puck comme si nous hallucinions. Puck! Puck!! Puck!!! Ils sont encore plus vifs. Ils virevoltent. Ils rebondissent. Ils ne se diluent pas. Ils se démultiplient. Comme un footballeur ou trois footballeurs, ils créent des espaces sans oublier d'aller vers le but.

En sortant du ballet d'Anne Teresa De Keersmaeker dans cette même salle en octobre dernier, L. me disait "Je ne com­prends rien mais j'aime bien". Quelques mois plu tard, j'apporte ma variation: "Je ne com­prends pas tout mais j'aime beaucoup". J'arrive à faire le pont entre le sensible et l'intellect. Elle se se situe peut-être là, la poésie, dans notre incapacité à tout formuler, sans nous empêcher de ressentir. Vers la fin de la pièce, Bottom nous allège et déclare: "L'homme n'est qu'un âne s'il essaye d'expliquer la pièce". Emmanuel Demarcy-Mota obéit et ne se perd pas dans des tentatives didactiques ou narratives. Il se contente de rendre le poésie vivante, vibrante, lumineuse.


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Et Rachida Dati? Elle aurait tort de rater ce que le théâtre sait faire de mieux, du théâtre.
Et les acteurs? Mais c'est une troupe. Ils forment un collectif et ils gagnent la coupe d'un soir tous ensemble.
Fallait-il y aller? Il faudrait presque y retourner.
Et les autres, qu'en pensent-ils? Ils ont bien aimé mais pas pour les mêmes raisons.

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