Hesmlet (jeu de mot évident) - Hamlet au Théâtre de l'Odéon (22 mars 2024)

Christiane Jatahy se moque un peu du texte -nous un peu moins- et s'empare de Shakespeare; superbe prétexte, pour raconter ce qu'elle veut et mettre en avant une extraordinaire actrice, Clotilde Hesme. Nous sommes certes à l'Odéon mais ce théâtre égare les béotiens et s'adresse d'abord à ceux qui auraient déjà vu dix mises en scène de la pièce pour leur faire gouter une variation toute personnelle et donc égotique.


"Tu diras que c'est bien". Il ne s'agit pas d'une question, ni d'un ordre mais d'une affirmation de R. en sortant du théâtre.

Il y a bien un système Jatahy, metteuse en scène brésilienne qui s'empare d'un classique et le remixe à sa sauce pour en faire une œuvre plus dans l'air du temps. Sa Règle du jeu ne m'avait guère convaincu malgré un grand Serge Bagdassarian en superbe roue libre. Derrière les effets de caméra, elle n'apportait rien au chef-d'œuvre de Renoir et n'arrivait pas à rendre sa théâtralité à cet œuvre qui s'inspire tant de Marivaux et le magnifie pour raconter un monde en décomposition, non par sa tête pour reprendre Attal, à moins que ce soit Mao, mais de l'intérieur, par notre âme, par ce que nous avons de plus intime. Il ne restait plus que la surface du film et elle n'arrivait pas à en restituer la dimension si humaine, faite de compromis et de fuites, quand le vernis social craque. Là aussi, Christiane Jatahy fait d'Hamlet une drame domestique, certainement pour nous le rendre plus proche, plus palpable comme si le pouvoir, la folie, la revanche étaient d'un autre monde. Hamlet, Claudius, Gertrude évoluent dans un décor proche d'un appartement témoin Ikea mais peut-être que Charles, Kate et William quand ils s'égarent dans leurs résidences privées évoquent les affaires du royaume. Nous ne sommes plus vraiment en 1601, ni dans la pièce originelle.

On ne s'ennuie pas et c'est une qualité, une vraie qualité, pas une qualité de confort. L'ennui n'est pas l'ennemi obligé, en forme de pénitence, du divertissement. Il nous permet de mieux apprécier ce que nous voyons. L'ennui est un compagnon, si ce n'est nécessaire mais inévitable, du spectateur qui arrive avec son humeur, ses a priori, sa fatigue et ne peut aller contre ce qu'il trimballe, ce qu'il est, au point de se laisser aller à regarder sa montre. Ces moments d'égarement sont propres à la méditation, à scruter des détails qui, par leur force métonymique, peuvent donner un sens à tout ce que nous  voyons. Il ne faut pas lutter contre l'ennui, contre ses propres bâillements qui, dans une illusion passive, rendent en fait le spectateur encore plus actif. Christiane Jatahy sait capter l'attention du spectateur, varier les effets comme pour nous détourner de ce que nous pourrions apprécier et aussi moins aimer. La musique de variétés aide à créer du rythme et comme son nom l'indique, à participer aux changements. Ces gens du théâtre subventionné ont souvent bon goût -Bourdieu, reviens!- et font de meilleurs DJs que de metteurs en scène. Il en va aussi pour la vidéo dont l'usage est opportun aussi bien pour donner de l'ampleur à une soirée dansante que pour faire apparaitre le fantôme du père d'Hamlet sous les traits d'un Loïc Corbery tout en transparence.

Christiane Jatahy nous dit que 85% du texte est de Shakespeare sans que nous sachions lesquels, hormis les quelques universitaires qui peuplent les rangs fort garnis de l'Odéon, fut-il qu'ils soient, contrairement à la voisine de mon voisin, spécialistes du théâtre élisabéthain. Il eut été plus honnête d'écrire que la pièce est d'après Shakespeare. Pourquoi ces brillants metteurs en scène ne s'essayent-ils pas à l'écriture, eux qui semblent si mal à l'aise à l'idée de reprendre les classiques mot à mot? Shakespeare ou Molière, dont je ne sais s'ils appréciaient leurs prédécesseurs, se sont inspirés sans pudeur d'autres auteurs pour les transfigurer. Alors, s'autorisant tant de libertés, Christiane Jatahy pratique un théâtre serpentin. Elle nous égare, se ballade et revient au texte originel. Il y a des bouts de Shakespeare, des bouts d'autre chose. Quelques indices ("Etre ou ne pas être", "Le reste est silence") nous indiquent que nous n'avons pas totalement dérivé. Elle ne perd pas le fil du récit, ni de la dramaturgie mais nous arnaque un peu car sa poésie ne vaut pas celle de l'original.

On ressort de cette pièce heureux d'avoir vu une grande comédienne, si grande qu'elle efface les autres, et comme Hamlet s'est perdu en route, ne l'emporte que la certitude d'avoir vu Hesmlet.

***************

Alors, c'était bien? Pourquoi faut-il être si binaire?
Alors, c'était bien (bis)? Oui mais...Oui mais car si nous retombons sur nos pattes, nous ne pouvons pas nous empêcher de nous demander ce que les égarements de Christiane Jatahy nous apportent et pourquoi nous sommes privés de 15% de la pièce.
Il faut y aller? C'est fini et je crains que cette mise en scène, pas chiante, ne passe pas à la postérité même si certains n'oublieront jamais qu'ils ont vu jouer Clotilde Hesme dans Hamlet.

Commentaires

Articles les plus consultés