Le Mariage forcé ou le spectateur forcé au Théâtre du Rond-Point (27 février 2024)

Malgré elle, cette pièce en un acte de 1664 pose une question contemporaine: la farce est-elle encore possible en 2024 ? A faire fausse route, Louis Arene n'offre pas une réponse satisfaisante.

Mais pourquoi faire laid?

La pièce commence à 18h30, un horaire de prof, de retraité ou d'auditeur de France Culture. Ou des trois. Le problème avec les spectacles courts, une heure montre en main ce soir-là, est qu'on attend plus qu'ils finissent que ceux de deux, de trois heures. Quand le spectateur sait qu'il a signé pour longtemps, il se laisse aller, s'enfonce dans son fauteuil et ne se refuse pas un petit somme. La notion de minute s'évanouit. Mais quand elles ne sont que soixante, la tentation de les compter est trop forte.

Comme tous les nouveaux excessifs (ceux qui n'arrivent pas à se satisfaire de ce qu'ils ont en main ou qui pensent qu'ils ont plus à dire que l'auteur), Louis Arene, le metteur en scène, se méfie de Molière. S'il se contentait du texte et surtout s'il se conformait à une forme de théâtre de tréteaux comme l'appelle cette pièce si courte que l'on pourrait la qualifier de piécette et s'il dirigeait des comédiens qui enchaineraient les rôles avec entrain dans un décor nu, il donnerait l'impression de se soumettre à un ordre bourgeois auquel il est difficile de se défiler en faisant jouer des acteurs de la Comédie Française, et non des moindres, qui ne sont pas des parangons de l'avant-garde

Arene en fait trop et doit considérer qu'il faut frapper fort pour que nous comprenions. Dans une scène, trois bohémiennes déguisées en Pussy Riot prédisent un sombre avenir conjugal à Sganarelle, notre héros. Il sera cocu -co-cu! Co-Cu!- nous dit-on sur tous les tons, dans une ambiance qui fait plus penser à Collaro (Stéphane) qu'à Fellini (Federico). On a droit à un théâtre queer (concept déjà effleuré dans le Cyrano mis en scène par Emmanuel Daumas à la Comédie-Française) qui nous parlerait, entre autre préoccupation actuelle, du genre et pour ce faire inverserait les rôles, les hommes joués par des femmes et vice-versa, tout cela sous des atours moches et de si petites provocations  qu'on se demande si elles sont vraiment nécessaires comme cette ultime émasculation en latex pour le personnage principal, le fameux mari forcé, joué par Julien Sicard. Mais Shakespeare ne faisait-il pas déjà jouer tous les personnages par des hommes? Si on veut fracasser Molière contre des sujets de notre temps, ne faudrait-il pas creuser cette permanence des pères et l'absence relative des mères dans son théâtre, à rebours de ce que montre notre époque? L'excès se mord la queue. Il se dévore. Il n'est que son propre objet, qui finit vite par oublier ce qu'il sert.

Pourtant, hors la mise en scène, le reste suit. La scénographie d'Eric Ruf, qui ne s'appelle toujours pas décor, est très réussie en réduisant l'espace de scène à l'espace mental de Sganarelle qui va devenir le piège de ce mariage désiré dont il ne veut plus. Hecq est Hecq, toujours Hecq, le Louis de Funès du théâtre subventionné, un génial acteur dont on doit accepter qu'il vient avec son style, ses histoires. Julie Sicard nous la joue Zézette qui jouerait Molière. Et ça marche !

Le génie de Molière, moins celui de Louis Arene, est de nous rendre sympathique un avare, un cuistre, un homme blanc de de 54 ans (!), probablement chauve, un homme qui se marie comme on irait en supermarché. Mais Arene a décidé de regarder ailleurs.

Le mariage forcé serait-elle une farce comme nous la présente Louis Arene avec ses amplifications, ses costumes outrés, ses archétypes enflés ? Cette pièce tient plus de la comédie comme nous l'annonce le programme. Ses excès ne sont pas intrinsèques. Tout porte à penser que Molière et ses prédécesseurs utilisaient la farce pour mettre en lumière le grotesque de leur époque et plus particulièrement des personnes qui pratiquaient ce grotesque sans s'en rendre compte. Aujourd'hui, la farce a perdu de sa force car notre temps est plus tolérant, plus ouvert et que critiquer comporte moins de risques. Il est moins nécessaire de se cacher derrière l'excès. La farce ou ses atours sont plus utilisés pour choquer et essayer de choquer mais à quoi bon nous secouer si on a rien à dire ? Louis Arene rend ridicule et dépassé ce Mariage forcé, non en le dénaturant mais paradoxalement en l'affaiblissant, en décourageant le spectateur et en travestissant ce concentré de Molière dont n'apparaissent plus que les effets. On ne voit plus que des costumes et des gesticulations; des fantômes. 

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Fallait-il y aller? Pas nécessairement.
Et Benjamin Laverhne? Nous l'avons connu meilleur mieux utilisé même s'il campe, parmi trois rôles, un excellent Pancrace, un médecin de Molière dans toute sa splendeur.
Alors la farce en 2024? Pas sur qu'Arene ait trouvé le ton pour rendre l'héritage moderne.
Combien de  "f" faut-il mettre à pffff? Pas mal.

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