Contemporain #1,5: la danse avec Love Chapter 2 au Théâtre du Rond-Point (21 mars 2024)

A quoi reconnait-on un maître? Pas à sa capacité à faire exploser l'applaudimètre mais à sa disposition à créer des disciples qui savent imposer leur style sans renier ce qu'ils ont appris. Nous sommes tous les enfants de nos parents et les chorégraphes israéliens sont tous les enfants d'Ohad Naharin.


La Batsheva ne dansera pas comme prévu en juin 2024 mais Ohad Naharin est très présent en ce début d'année. Quand il n'est pas sur scène avec le ballet de l'Opéra de Paris, ses disciples viennent à Paris comme Sharon Eyal et Gai Behar en mars au théâtre du Rond-Point ou Hofesh Shechter à la naissance de l'été au Théâtre de la Ville. On reconnaît un grand chorégraphe à son originalité, à son style, sa beauté mais aussi à ses anciens élèves car tout est affaire de transmission dans cet art qui ne peut se passer que d'être humain à être humain, par le geste, par la répétition, par les cris ou les chuchotements. Les mots, les films n'y feront rien. Il faut que le maître montre, guide, corrige pour que le geste se perpétue. Plus que dans la musique, le cinéma ou le théâtre, il n'est pas envisageable que la chaîne soit rompue. Archives et témoignages y feront peu. 

Les premiers corps de Love Chapter 2 sont lents, cambrés comme des statue de Bourdelle. Leurs bras et leurs jambes semblent si grands. La pulsion est incessante, inévitable. Les sept danseurs bougent peu. Ils sont tout en maitrise, se déploient, l'un après l'autre, musculeux, sur leurs appuis. Leurs longues chaussettes noires nous donnent l'impression qu'ils sont sur des pointes alors qu'ils alternent entre leurs orteils et leurs pieds à plat...Ces mouvements fluides et incessants, synchronisés et libres, nous suffoquent et nous oppressent. Nous nous demandons comment ils arrivent à tenir le rythme qu'ils s'imposent, à moins que ce soit grâce à cette pulsion incessante et métronomique. J'ai l'impression que le rythme s'accélère mais il doit s'agir de mon coeur qui se demande comment dans ce défilé statique et vertical, ces danseurs vont réussir à poursuivre cet effort sans une pause, sans un seconde pour respirer. Nous sommes épuisés de regarder ces corps qui ne se relâchent jamais. J'ai eu l'impression de ne pas respirer pendant 55 minutes et rien que d'écrire ces mots une sensation d'apnée tendue, qui ne se nourrit ni de détente, ni de relaxation mais de la concentration de toutes les forces, me reprend. Les applaudissements à la fin expriment autant une satisfaction qu'un relâchement et qu'un soulagement.

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Et comment s'habille-t-on? Je ne suis pas tout à fait convaincu par le justaucorps unisexe que portent les sept danseurs.
Fallait-il y aller? Si on se réfère à l'enthousiasme du public, oui! Oui! OUI!
Et fallait-il y aller? Il n'y a aucun doute si l'on veut vivre une heure aussi physiologique qu'artistique qui continue à vous coller à la peau bien après 55 minutes.

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