Contemporain #3: la musique - Trilogie Cocteau à la Philharmonie de Paris (7 mars 2024)

Cette huitaine contemporaine aura eu des allures de chameau ou de Tirelipimpon sur le Chihuahua ("un coup en l'air et un coup en bas") et s'achève au firmament de la composition et de son interprétation.


Elles ne sont pas deux à saluer à la fin mais ils sont six. Ce concert est présenté comme une expérience. Et sans que la mise en scène tienne du gadget, elle ne peut que s'incliner devant le puissance de la musique et de son interprétation. Il y a un scénographe et un directeur artistique alors que tout le mérite revient à Mehdi Toutain-Lopez, l'homme de la lumière. Je me demande ce qu'a pu faire Cyril Teste, dont j'avais vu La mouette -pas mal mais trop dans l'air du temps (vidéos, acteurs hors champ...) pour me convaincre qu'elle serait mémorable- à part peut-être dire qu'il fallait mettre la scène au milieu de la salle; riche idée, souvent efficace mais pour la nouveauté, on repassera. Dans cette configuration, nous voyons mieux les deux pianistes dont les regards ne se croisent quasiment pas mais dont l'écoute apparait si coordonnée. La simple et entière réussite du dispositif vient de la lumière qui s'abat droite, blanche et calculée sur la partition, et du lustre qui a le bon gout de changer de couleurs à son rythme sans se soucier de la musique. On n'est pas au disco quand même. Et il y a le parfum, du gros parfum de chez Francis Kurkdjian et quand on veut ambiancer olfactivement un lieu, il faut y aller à l'arme lourde, pas avec de légères effluves de feuilles de citronnier mais du patchouli-patchoula en mode A nous Woodstock! ou comme à la grande époque, tout en testostérone d'Abercrombie & Fitch. (Note : parler d'un sujet hors sujet, comme le football américain ou la vaporisation d'eau de toilette dans des magasins, peut être un signe que le moment ou l'effet décrits ont raté leur cible).

Je suis en retard -merci Hidalgo- et je commence le concert avec avec quelques minutes d'absence tout en haut et je goûte le mystère qui m'empêche de voir avec acuité les musiciennes. Le son se déploie et s'entremêle en hauteur alors qu'il sera plus déséquilibré quand je me retrouverai, en seconde partie, au premier rang derrière Marielle Labèque qui joue à front renversé avec sa sœur, Steinways fermés.

Nous nous trouvons ici outre-contrepoint. Les marteaux virevoltent sur les cordes multipliées par deux. L'adjonction des pianos ne sert pas à développer une richesse mélodique mais une puissance harmonique en associant et décuplant des sons grâce au rythme si maitrisé et aux atours répétitifs de Glass. Car de répétition, il n'en est pas tout à fait question...Cette musique n'a de répétitive que le nom et la paresse des chroniqueurs. La musique de danse de jeune est répétitive par fonction. Elle veut pousser les auditeurs vers une forme de transe- on pourrait dire d'hypnose- pour les faire s'agiter au-delà du temps. La répétition suppose que nous savons ce qui se passe après chaque note alors que la surprise est en bout de chaque touche chez Glass. Il feint de nous endormir. Et ! Il s'interrompt. Et ! Il varie. Et ! Il change de ton. On ne sait jamais comment sa musique commence, ni quand elle finit. Ne serait-ce pas la définition de l'éternité ?

Un article du Monde rappelait l'importance de Glass dans le paysage d'aujourd'hui, son influence et ses citations par des musiciens venus de tous horizons. En l'écoutant, je mesure encore plus à quel point il est omniprésent, ici à la Philharmonie et ailleurs. Il y a une dimension harmonique, rythmique, percussive et moins mélodique dont seule la salle arrive à rendre les telluriques effets. Des trois partitions présentées, la Belle et la bête est peut-être la moins riche, la plus mécanique. Elle arrive après Orphée qui mêle le swing au style de Glass, deux approches du rythme qui nourrissent, telle une ironie, cette fausse illusion que ces genres -musique répétitive ou swing- pourraient être jouées par des pianos mécaniques à qui il faudrait, sans cesse, ajouter des sous dans la machine. Le morceau de choix est cette transcription des Enfants terribles qui donne toute sa dimension au piano, cet instrument total. Et pour le coup, ils sont encore deux. La partition nous rappelle sa puissance percussive. La musique de Glass est à la fois méditative, intellectuelle et charnelle. Elle n'est pas là pour faire joli mais pour avancer comme un cheval de course.

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Et c'était mieux que Naharin? On peut toujours comparer mais il est vain de classer. 
Et Cocteau, il se cocottait ? Il faut le croire ou le sentir.
Fallait-il y aller? Glass + Labèque = oui, les yeux fermés.

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