Contemporain #2: le chant - The Exterminating Angel à l'Opéra de Paris (6 mars 2024)

Comment ma peur ne fut ni vaincue, ni exterminée mais renforcée par une œuvre par dessein déplaisante, fruit d'un artificiel désir d'opposition.


Je dois avouer une certaine réticence à découvrir l'opéra contemporain malgré ma fascination pour Glass dont le Satyagraha au Met dans la production de l'ENO 
me subjugua et le Einstein on the Beach à BAM dans sa version canonique me rasa*. Je trouvai ce dernier trop répétitif...et je conclus à l'issue de ces presque cinq heures que cette musique répétitive était trop répétitive. Il y eut aussi la déception de Dr Atomic -Oppenheimer sans Christopher Nolan (ni Cillian Murphy, ni Ludwig Göransson, ni...)- qui ne me semblait plus avoir été écrit par le compositeur du puissant et dramatique Harmonielehre,  que j'avais découvert dans le magnifique Amore; John Adams, compositeur devenu timoré et balbutiantJe sortis même avant la fin, la seule fois de ma vie que je quittai un spectacle -même si l'envie m'a repris en janvier dernier
Le problème est souvent le même. La musique me plait et je comprends ce refus de la mélodie stricte au profit du son, de la vibration, du vrombissement mais dès que des voix s'en mêlent, je suis troublé comme si je regardais une fausse blonde. L'aspect contre-naturel, l'absence de cohérence me rendent difficilement appréciable ce que l'on me présente. J'en viens à conclure que si la musique peut être dissonante, le chant doit rester consonnant, à moins de courir le risque d'un écroulement psychique et physique à l'auditeur. La musique d'Adès est plus supportable seule et je me demande si son œuvre supporte l'épreuve du disque. Comme si la seule salle pouvait accueillir ces sons chaotiques et disharmoniques. Cette musique usante, urticante ne transmet rien. Au mieux, elle narre mais l'idée même d'émotion, de sensibilité serait trop petite-bourgeoise et elle semble privilégiée la gêne permanente pour nous tenir. 

Il parait que j'avais raté ce qui apparaissait comme l'excellent Nixon in China il y a un an mais j'ai appris à me me méfier des louanges des professionnels éclairés dont les goûts m'échappent. J'aimerais avoir l'oreille d'un Merlin -Christian pas l'enchanteur- qui, d'un coup de plume, arrive à transformer du plomb en or -là, il devient alchimiste- même si je note que de nombreux commentateurs quand ils évoquent ces opéras analysent pas ou peu la musique comme si l'appréciation de cette dernière était devenue superfétatoire.

Les cloches nous appellent. Elles tintinnabulent dans tout l'édifice -j'arrive toujours pile à l'heure sauf le lendemain à la Philharmonie, merci Hidalgo- et elles continuent à sonner dans le salle. La lumière est encore allumée et sans nous en rendre compte, The Exterminating Angela a déjà commencé. Des gens s'installent et Thomas Adès au pupitre dirige sa propre œuvre. A Bastille, sans aucune réminiscence révolutionnaire, le chaos ordonné nous envahit. Il est partout dans la fosse, sur scène -les chanteurs arrivent tels des joyeux convives- et quelques spectateurs ne sont toujours pas assis et ce ne sont même pas des figurants.  Thomas Adès est un athlète, un adepte du fractionné, en accélération permanente. Les ondes Martenot n'y feront rien. Cette musique reste difficilement supportable, écoutable, appréciable. Comme beaucoup de ses maîtres et de ses contemporains, Thomas Adès refuse la mélodie, ce qui reste un obstacle franchissable mais himalayaïesque pour mes oreilles qui furent élevées à Offenbach et aux Beatles. Thomas Adès est ce que les anglais est un contrarian et ce n'est pas le premier, ni le plus talentueux. Il prend tout ce qui peut faire l'équilibre d'une œuvre et la torturer pour coller à son sujet et la transformer en bande-son de la décadence, de ce cauchemar sans fin.

Nous nous baladons, à un rythme frénétique, au royaume des aigus, un royaume accidenté, montagneux comme une étape du tour de France dans les Pyrénées bourrée aux stéroïdes. Je ne me fais pas à ce chant qui refuse le lié et qui, à tout moment, soumet l'auditeur à un jeu intellectuel disharmonique. Jamais le chant ne se déploie. Epileptique, il va de l'un à l'autre sans s'arrêter, frénétique, angoissé, strident, excessif comme le livret semble le suggérer. La belle affaire de cette forme qui épouse le fond. Thomas Adès est à la baguette et chose surprenante, la fosse écrase, à de nombreux reprises, les chanteurs. Les équilibres ne se font pas entre les instruments et les voix.

Le décor unique est blanc et chic, post moderne comme dans 2001Si l'on entend la mise en scène comme la proposition d'un univers cohérent au service de la lisibilité de l'œuvre, celle de Calixto Bieito est une réussite car sans accaparer le travail qu'elle soutient. Elle s'impose comme le souvenir le plus saillant de cette soirée. Le metteur en scène ne sombre pas dans la provoc' -il sait la frôler- et à ma grande surprise, les chanteurs ne finissent pas à poil - merci pour nous - mais nous avons droit à un catalogue élargi de sous-vêtements.

Et pourtant que j'aimerais apprécier ce que je vois, moi aussi, rejoindre les modernes, être un témoin réjoui de mon époque. Thomas Adès dirige et je me souviens d'avoir vu Nico Muhly dans Two Boys à New York. Aucune note ne me revient. Qu'il est rare et heureux de voir cette musique naître. J'aimerais dire avec fierté "J'y étais!!" mais je doute que cette musique reste et que les directeurs d'opéra persistent. Ces derniers essayent de faire vivre une étoile qui meurt lentement ou qui est déjà morte mais dont nous percevons encore les ultimes rayons. Et à quelques exceptions près, ces opéras ne sont que des tentatives de résurrection, de vains électrochocs.

*Je mesure à quel point ces références sonnent chic, voire prétentieuses...

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La musique doit-elle être aimable? C'est mieux.
Fallait-il y aller? Oui si la curiosité prime sur tout!
Tout? La musique? L'harmonie? Le plaisir? Oui tout!

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