Richard II encore

Shakespeare est inusable, infatigable. Il a tout dit et il dit tout. Il permet aux meilleurs acteurs d''être encore meilleurs. Pièce historique et intime, Richard II, repris aux Amandiers, en apporte la preuve et plus encore.




Je ne livre pas ici, à tous les calligraphes, les notes prises après avoir vu Richard II au théâtre des Amandiers en octobre 2022. Je ne les reprendrai pas mais je partagerai une anecdote.

Dans This Is Shakespeare: How to Read the World's Greatest Playwright (Pelican, 2020, non traduit. C'est toujours chic d'écrire "non traduit"), Emma Smith explique que la permanence de la pertinence de Shakeaspare ne tient pas à sa modernité, mot trop facile, mais à son caractère parcellaire ("spotty"). Son théâtre comporte des espaces, et le spectateur, comme le metteur en scène ou les acteurs, s'engouffre, comble les vides et s'approprie les pièces portées par la poésie et le rythme, évidemment plus perceptible en anglais qu'en français. Shakespeare nous parle d'identité mais il n'en fait pas le centre de sa pièce mais un sujet parmi d'autres.

Le théâtre public porte bien son nom. Il faut entendre la polysémie du mot public. Il dépend de financements publics. Il n'appartient pas à des fonds privés. Et il s'adresse à tous les publics, notamment parce que les places sont vendues peu chères; voire, elles sont données. On y croise souvent des scolaires -surtout les vendredis et les mardis comme ce 11 octobre 2022-  qui ne viendraient pas spontanément dans ce type de lieu pour voir du Shakespeare. A leur âge, je n'allais pas de moi-même au théâtre des Amandiers à Nanterre. Après les saluts, dans la lenteur maladroite et encombrée qui s'empare des corps qui descendent les marches vers la sortie, deux jeunes filles du cru échangent.

- Jeune  fille 1: "Il était pénible son monologue à Richard II!"
- Jeune fille 2: "Trop chiant!!"
- Moi (en mon for intérieur): "Mais ce monologue parle de nous, de vous, de notre identité sociale, de la manière dont les autres nous voient. L'existence de cet homme, au travers du regard des autres, ne tenait qu'au fait qu'il était roi et là, destitué au profit d'Henry IV (Bolingbroke), il ne sait plus qui il est, qui il va être. Il s'effondre lentement ("
Que ne suis-je un roi dérisoire de neige. Exposé aux rayons du soleil de Bolingbroke. Pour disparaître alors en mille gouttes d'eau!"). Qui êtes-vous donc quand on cesse de vous voir comme deux jeunes filles de banlieue et que vous existez pour vous seules dans toute votre richesse? Qui reste quand votre moi social disparait?"

Ce Richard II est l'occasion de voir un grand acteur de théâtre, Micha Lescot, une de ses ombres qui traversent le cinéma français et dont le talent éclate sur scène. Et par un clin d'oeil narcissique, il joue le rôle de Pierre Romans le directeur de l'école dans Les Amandiers, le film de Valeria Bruni-Tedeschi consacré à ses souvenirs de jeunesse portés par cette aventure théâtrale qui écrivit encore un peu plus la légende de Patrice Chéreau.

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Faut-il y aller? Bien évidemment et, pour une fois, il reste des places. Les critiques de spectacle sont de joyeux bourreaux, des tueurs d'enthousiasmes qui parlent de spectacles déjà pleins comme Philippe Chevilley dans Les Echos qui invite avec entrain les spectateurs à aller voir Extinction de Julien Gosselin.
Pourquoi faut-il y aller? Pour Richard II, c
et enfant qui se tient droit uniquement parce que sa tête est ceinte d'une couronne. Pour les acteurs, Micha Lescot et Eric Challier en Bolingbroke qui s'impose comme un grand acteur shakespearien après ses prestations tout en puissance maîtrisée dans la tétralogie HenryVI/Richard III mise en scène par Thomas Jolly.
Ce n'est pas un peu loin les Amandiers? Tout dépend de là où on habite. C'est un monument du théâtre français qui ne ressemble en rien à un monument. Valeria Bruni-Tedeschi en a filmé toute la laideur architecturale des années 80 avant que ne commencent les travaux qui donneront naissance -on ne sait quand et pour combien- à un cube transparent, si typique du nouveau millénaire.


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