Une saison sans Gosselin (ou comment parler d'une pièce que l'on ne verra pas)

Tout le monde doit bien s'en moquer mais j'ai décidé de me passer de la pièce de Julien Gosselin cette année. Son Extinction affiche complet, tant mieux pour lui et ses comé­diens, toujours brillants. Je regrette presque de ne pas découvrir la troupe de la Volskbühne. Ils n'ont pas besoin de moi. Je réponds à son sadisme par la fuite, celle qui me privera de sa pièce qui s'annonce éprouvante associée à un texte du misanthrope en chef, Thomas Bernhard. Cette pause devrait revivifier une envie gonflée par le manque. Je ne connais pas les cuisines des théâtres publics parisiens mais je me demande si l'Odéon qui accueillait d'habitude ses pièces ne s'est pas aussi lassé et mis en jachère de ce créateur laissant les Amandiers (hors les murs) et le Théâtre de la Ville prendre le relais. 

Dans une interview en Monde en juillet dernier, un peu bravache, Julien Gosselin déclarait "Je crée en disant aux acteurs : Il faut que la salle soit vide à la fin". Derrière cette provo­cation se cache la réalité d'un créateur qui veut repousser les limites, pour que la relation entre le public et lui ressemble de plus en plus à ce cri "Qui m'aime me suive!!!". Sa dernière pièce, Le Passé, nous en donnait déjà un avant-goût.

Confiant dans son génie, mais aussi dans son public, Julien Gosselin veut franchir un cran de plus, voir jusqu'à quel point nous pou­vons tolérer ses propositions dont il semble se délecter qu'elles nous prennent à rebrousse-poil comme un guitariste en extase se ravit des embardées soniques de son instrument si proche de l'amplificateur donnant naissance à de tonitruants ef­fets larsen. Contrairement à certains de mes camarades, je ne sortais pas, il y a quelques décennies, des concerts de My Bloody Valentine, ébahi par un groupe qui ne produisait plus de musique mais un bruit vaguement stylisé, totalement snobisé fabriqué par des clones pénibles du pénible Glenn Branca.

Notre metteur en scène fait lui aussi crisser le théâtre. A plusieurs reprises, il refuse de laisser les acteurs sur scène devant les spectateurs. Il préfère les cacher derrière le décor et les filmer en direct. Il aime hystériser l'hystérie ou se laisser aller, volontairement, à des délires adolescents. Dans Le Passé, une des actrice était prise dans un accès de folie sans fin telle l'épouse increvable d'un derviche tourneur. Un acteur masqué s'agitait avec un immense sexe factice tel un jeune cousin ivre remuant avec un vibromasseur après avoir bu quelques vodkas en cachette. Dans le second cas, je n'étais pas choqué, juste lassé. En décembre 2021, j'ai oscillé quatre heures pendant ce Passé qui passait de moins en moins, entre moments ful­gurants et tunnels pénibles. Je n'arrivais pas à apprécier tout ce que je voyais. Je recherchais ce que je ne voyais plus, l'homme dernière 2666, son impressionnante adaptation du roman-fleuve de Roberto Bolano, une des plus époustou­flantes pièces qui m'ait été donnée de voir, du théâtre total, plein, un moment d'à peine 11 heures, unique, qu'aucun autre medium ne pourrait offrir, porté par des acteurs en mission.

Les recensions d'Extinction présenté au printemps des Comédiens à Montpellier en juin, puis en Festival d'Avignon en juillet, laissent entrevoir un spectacle irritant qui commence par une soirée techno, moment d'impossible d'hédonisme durant lequel le spectateur va se demander s'il doit aussi participer à la danse. Je n'ai plus l'âge de payer pour danser. Je ne l'ai jamais eu. Mes congénères assis en salle pourraient deman­der des dommages- intérêts pour me regarder me bouger selon un rythme impossible. Le deuxième acte nous montre une belle société viennoise se décomposer vers l'abject. Ivo van Hove avait déjà tenté le coup côté allemand dans Les Damnés et on restait indifférent à ces excès, plus légers, qui tenaient plus d'un cirque de le putréfaction que d'une volonté de conviction, de réflexion. A la fin, au bout de quelques heures, après avoir rincé le public qui serait resté, quelqu'un dira que c'était bien surtout parce que c'était long même si les applaudissements manqueront d'enthousiasme.

Pour une fois, ma curiosité part en week-end et je préfère avoir des regrets que des remords. Julien Gosselin a donc réussi son coup. Il a temporai­rement éteint mon enthousiasme. Il m'a fait quitter la salle avant que je n'y pénètre. Il dérange, tord les conventions du théâtre (absence de distance entre le public et le scène, acteurs cachés...), nous pousse au bout de l'effort, au bout de expérience. Il joue les sales gosses, au point de nier que nous méritons le meilleur de lui-même.

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Faut-il aller? Bof. Bof. Bof. Voir le titre de ce billet
Faut-il attendre? Oui. Julien Gosselin va se reprendre.

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