Dénoureeviser? A propos de Casse-Noisette à l'Opéra de Paris (14 décembre 2023)

Y a-t-il plus Noël que Le Messie ? Casse-Noisette!
Où on peut inventer un nouveau mot -
dénoureeviser- qui tiendrait de programme pour le Ballet de l'Opéra de Paris. Pour tuer le père, il ne faut pas tant se livrer à l'art du néologisme que désirer une nouvelle manière de danser.


En voyant Germain Louvet enchainer les jetés dans Casse-Noisette, on a l'impression qu'il court plus qu'il ne danse, que l'athlète malgré lui prend le pas sur l'artiste. On voit les coutures, les heures astreignantes de préparation, les encouragements et les frustrations. Il cherche à impressionner une ombre qui l'empêche de nous émouvoir. Depuis des décennies, le ballet de l'Opéra de Paris, cette maison d'excellence et de souffrances, essaye de se hisser sur les épaules d'un géant et en vient à danser contre-nature comme si chaque danseur craignait encore que le grand Rudolf Noureev le regarde des coulisses ou du cimetière russe de Sainte-Geneviève-des-Bois, non loin de Patrick Topaloff et d'Andreï Tarkovski. Ce 14 décembre 2023, plus Germain Louvet se dépensait, plus il avait l'air ordinaire. Et le destin s'était acharné contre lui. Il avait perdu sa partenaire, Myriam Ould-Braham, juste après la générale. Il n'avait pas assez d'automatismes avec sa nouvelle Clara, Sae Eun Park, mettant en lumière la moindre hésitation, les quelques centimètre manqués d'un porté alors qu'elle en était plus qu'impressionnante, étoile au pied levé pour laquelle l'indulgence ne sera même pas nécessaire pour admirer sa technique toute en fausse fragilité.

Il ne faut pas demander à cette vieille maison, même si elle est située place de le Bastille, d'accomplir un révolution mais lui suggérer de déclarer son autonomie chorégraphique au risque de s'épuiser à poursuivre un russe, aussi fantomatique que génial. Il reste un large champ à développer sans trahir l'œuvre première, non pour moderniser un classique mais pour le faire vivre de manière éclatante au XXIe siècle. Il est temps que le même saut, un autre jeté, soit effectué entre Noureev et le présent que celui que fit dernier avec la version canonique de Marius Petipa et Lev Ivanov.

Les anglais ont le plum-pudding et les russes la музыка plum-plum. Tchaïkovski ne brille pas par se légèreté, encore moins dans sa musique de ballet, à l'exception peut-être de certains passages du Lac des Cygnes, ce qui rend alors encore plus étonnantes les envolées des danseurs sur la scène de Bastille et ce qu'arrive à en tirer Noureev.

Avec Noureev, c'est toujours le même chose. Au début, la scène est encombrée par le décor, par les danseurs qui dansent peu ou plutôt singent la danse. Puis, le plateau s'impose, se dénude et le ballet peut briller, s'exprimer. Le royaume des neiges avec ces flocons est un de ces moments magiques où les ballerines expriment leur art grâce à leur cohésion et de le précision. On dit de Noureev qu'il propose une version plus psychanalytique de Casse-Noisette, pour éviter d'écrire qu'il en propose un version moins naïve, moins gnangnan pour utiliser un mot onomatopéique dont la musicalité veut tout dire.

Noureev maltraite les hommes. Tout est trop dur pour eux. Tout a été écrit pour que les étoiles mâles ne puissent pas briller à côté du soleil. On ne copie pas un monstre, une légende, un ogre solaire et politique. Il suffit de lire le Danseur de Colum McCann pour que s'élève une montagne indépassable. Et tant que les danseurs et le direction ne construiront pas leur nouvelle cathédrale, Germain ne deviendra jamais Louvet. Ce n'est pourtant pas difficile. Tout artiste s'est défini en révélant son style, non en imitant son maître, surtout quand ce dernier a laissé des chausses-trappes plutôt que des chaussons. La chimie mise à part, vouloir imiter Noureev revient à vouloir rééditer les performances des années 70 et 80 des athlètes est-allemands.

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Faut-il aller? Oui sauf si vous n'aimez pas Noël.
Et s'il faut choisir? On pourra préférer le Lac des cygnes ou Jiří Kylián qui est le vrai ballet de Noël (cf. post suivant).
Verra-t-on bientôt un nouveau Casse-Noisette à l'Opéra de Paris? Pas tout de suite. L'admiration des diadoques de Noureev persiste pour le meilleur et l'immobilisme.
Et pour prolonger le débat? Un article de l'excellente Ariane Bavelier du Figaro que j'ai précédé de quelques jours. Y aurait-il un sujet?

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