Pauline & Carton & Moi à la Piccola Scala (9 juin 2024)

Qui va voir une pièce, même d'une heure, un samedi de juin en plein après-midi alors que l'été s'est tant fait attendre ? 14 personnes dans une petite salle dite la bien nommée Piccola Scala.


Le durée de cette courte pièce est à la mesure de l'assise, une simple planche de bois peinte, qui aurait rendu toute minute marginale, au-delà de le soixantième, insupportable. On pourrait aussi s'interroger au sujet de la programmation à répétition -trois fois dans le week-end- qui ne donne pas à Christine Murillo la densité de public qu'elle mérite. Au théâtre, les spectateurs assemblés, serrés amplifient ce piédestal qu'est leur présence et qui porte les personnes sur scène fussent-elles seule. On pourrait encore s'interroger à propos de la puissance du bouche-à-oreille. Le spectacle a reçu de bons échos, voire de très bons -Le Point note que Christine fait Murillo fait un carton (gag!) et oublie que cet objet est souvent vide-, a eu sa dose de promotion pour n'attirer que 14 sectateurs dont les 13 autres vous donnent, à 50 ans, l'impression d'être jeune.

Peu importe que nous soyons 1 000, 100 ou 14 , Christine Murillo joue avec la même énergie, la même foi dans le théâtre, comme si, championne des planches, elle allait chercher un cinquième Molière. Cette désertion des spectateurs, apparait, en creux, comme un hommage à l'abnégation des comédiens qui exercent leur art quoi qu'il arrive, quelle que soit la qualité du texte, des partenaires, du projet. Il faut jouer, jouer, jouer dans une salle hostile, dans une salle indifférente, devant 14 personnes alors qu'ils pourraient être 10 fois plus nombreux et proclamer, bravache, heureux, que The Show Must Go OnPauline et Carton est d'abord un salut aux seconds rôles et dans une irrégularité de français -plutôt que faute -aussi aux troisièmes et quatrième rôles. Feu la revue Revus et Corrigés a rendu un bel hommage à ces seconds couteaux dont Pauline Carton assise à côté de l'immense John Cazale. Christine Murillo prolonge ce salut à la Piccola Scala.

Pauline Carton a joué dans 250 films, pas forcément des merveilles cinématographiques, qui nous rappellent que toutes les époques proposent des produit jetables et que l'histoire sait faire son œuvre même s'il lui arrive d'oublier des trésors au bord de la route. Elle fut une interprète privilégiée de Sacha Guitry (22 collaborations...) et restera d'abord dans une certaine mémoire collective, et malgré elle, pour cette merveille de réjouissance technique, un rien absurde, qu'est Sous les palétuviers en duo avec René Koval. 

Au-delà d'une actrice, Christine Murillo honore le jeu, son spectre émotionnel, sa précision. A travers Pauline Carton, elle montre tout ce qu'un actrice, formée à la Comédie Française et au Conservatoire, sait faire : être amnésique à dessein mais aussi de manière involontaire, bégayer, accélérer, changer de ton, utiliser d'autres voix. On pourrait croire qu'elle imite mais elle préfère la douceur, moins vulgaire, de l'évocation, de Jean Nohain, de Michel Simon, de Danièle Gilbert (!) ou de Jean Marais. Elle a la sagesse de laisser Sacha Guitry, au phrasé si reconnaissable, de côté. Et nous voyons ce qui la distingue d'un Laurent Gerra, avec cette diction, cette voix, ce ton qui restituent sans singer­.

Vers la fin, Pauline Carton nous dit: "Un acteur sans spectateur n'est pas un acteur". Une actrice avec quatorze spectateurs est une plus grande actrice.

******************

Fallait-il aller ? Qu'il pleuve, qu'il vente, qu'il bronze, qu'il terrasse, the show must go on...mais plutôt les jours maussades.

Commentaires

Articles les plus consultés