Le théâtre sur un fil: Jours de joie aux Ateliers Berthier/Théâtre de l'Odéon (24 avril 2024)

Le drame ou la tragédie sont la forme par défaut du théâtre. Il est plus difficile de faire rire, d'enjouer, d'apporter de la légèreté. Stéphane Braunschweig et Arne Lygre s'y essayent...à la norvégienne, dans ce que nous envisageons comme un affect retenu où un sourire effleuré aux Ateliers Berthier ressemble à une tranche de rigolade à Oslo.


Jours de joie commence très bien, en pleine lumière. La langue est directe, droite, courte volontairement ordinaire, presque banale, à l'égal du décor avec ses feuille d'automne au sol. Devons-nous y voir un symbole pour une saison qui rimerait avec mélancolie? Deux femmes, une mère, une fille, parlent de leurs relations et elles commencent, comme dans toutes les scènes qui suivront, par un monologue formel en style indirect. "Une mère dit...", "Une file pense...", "Un frère dit...". Ce choix de la simplicité permet au théâtre d'Arne Lygre appuyé par Stéphane Braunschweig, d'être à la fois formel et vivant, alchimie plutôt rare. Il n'y a, pour le moment, pas d'enjeu dramatique même si une mère et une fille se disant qu'elles s'aiment contient sa dose d'intensité. 

Le pièce est construite en deux parties, miroir l'une de l'autre, durant lesquelles les personnages se rejoignent et s'accumulent pour finir à huit sur scène. Dans le seconde partie, on recommence et une variation intervient. On parle d'un absent qui devient cette ombre structurante. Il y a quelque chose de tchekhovien, d'un Tchekhov du quotidien dans cette partie marquée par cet homme en fuite. Les personnages se révèlent plus, se racontent. Là, ils se connaissent et ce n'est plus seulement le hasard de leurs rencontre qui les tient. On comprend la force du lien et son absence.

Arne Lygre pratique un théâtre minimal, une forme de théâtre pur, un théâtre à l'os qui s'embarrasse à peine de narration où les acteurs évoluent dans un décor sans excès, utilisent des mots simples pour parler d'amour, d'amitié, de pardon, de trahison, de mort. On pourrait faire référence au théâtre de l'absurde tellement les mots tiennent le plateau et ces personnages à peine nommés -ici seize joués par huit comédiens-, dans des lieux aussi neutres qu'un jardin représenté par un banc et un salon par un canapé. Comme chez Beckett, nous sommes un peu nulle part et le dialogue si fragile parle de nous sans utiliser le principe narratif basique du récit avec un début et une fin. Ici, on devrait plus parler de théâtre du fil car ce qui est montré et monté tient à un fil, fragile, celui des mots qui relient les personnages, les fait tenir. Nous ne savons presque rien et le récit comporte peu d'éléments auxquels se raccrocher, une histoire, des faits, un passé qui accommoderaient les silences les déviations ou les passages à vide. Il est donc de ce théâtre comme d'un fil, comme du trait d'un dessinateur sur une toile ou plutôt une feuille de papier, matériau plus fragile, sur laquelle n'apparait ni décor, ni couleur.

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C'est long ? Un peu, un peu trop, d'autant que le principe de ce théâtre sans début, ni fin dans lequel on rentre par douce effraction, permet de couper ou de rallonger à l'infini. Dans cette relation entre le récepteur et l'émetteur, ce dernier pourrait se demander ce qui justifie, après deux heures de représentation, toute minute marginale.
Qu'est-ce qui tient les gens ? Le 
langage, ce que disent les gens, ce qu'ils se racontent.
Ca marche? Presque.
Fallait-il y aller ? Toujours un peu quand même.

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