Giselle à l'Opéra Garnier (14 mai 2024)

A la fois souvenir et permanence, Giselle ne cesse de nous ramener à la forme parfaite et appliquée de la danse. Plus que de l'aimer, il faut apprécier ce ballet comme un pèlerinage, une visite à une vieille tante que l'on verrait autant par affection que par conviction car elle a tojours des choses à nous apprendre.

Il serait facile de se limiter à la niaise surface de Giselle. Le décor médiéval de carton-pâte évoque une esthétique, qu'il serait poli de qualifier de daté, entre le Victor Hugo dessinateur et Viollet-le-Duc en poulaines. Cette jeune paysanne a l'air naïve mais pas godiche tellement le moindre des déplacements de Bleuenn Battistoni est gracieux. Ah, la vie n'est jamais simple pour une danseuse. Marcher ne se résume pas à mettre un pied devant l'autre car la simple ligne droite permet de si peu déployer. Marcher requiert le dos droit, le pas absurde de précision et une application ample. Il faut, pour aller de A à B, se laisser à des entrechats, à des diagonales, des zigs, des zags, formes beaucoup plus élégantes et plus inutiles.

On pourrait voir Giselle comme une bluette mis il faut plutôt regarder ce ballet come une corrida que nous suivons au-delà de la mort. Carmen, la nouvelle de Mérimée, a été écrite en 1845 et publiée en 1847 alors que Giselle date de 1841. Cette proximité ne tient pas du hasard et un peu de recherche ferait ressortir encore plus d'oeuvres de la même époque inspirés de la corrida, parfait motif romantique. Durant le premier acte, tel le taureau dans l'arène, Giselle entre dans le cercle de la mort. Hilarion et Albret, les picadors la conduisent par jalousie vers son implacable destin comme pour le taureau. Le pas de deux des paysans, ce soir interprété par Luna Peigné et Aurélien Gay, est celui des peones qui nous divertissent avant l'affrontement final. Malgré tout, alors que tout est entendu avant même que nous entrions dens le salle, Giselle s'effondrera. Il n'y a rien de surprenant au fait que les romantiques se soient emparés de la corrida même s'ils ne pouvaient pas la montrer à tout bout de champ d'arène, cette danse noble vers la mort -quelle que soit son appréciation de ce morbide spectacle-, ce cérémoniel implacable dont l'issue est connue de tous et dont tous font semblant de croire qu'il existerait une alternative.

Giselle reste le ballet des ballets, le rôle dont rêvent toutes les danseuses "le rôle dont rêvent toutes les danseuses" pour reprendre les mots d'Ariane Bavelier. Il ne s'agit pas d'un Everest, d'un K2 ou d'autres métaphores foireuses de difficulté absolues qui ressembleraient à une sorte de rite de passage, séparant le monde des ballerines en deux, celui des danseuses de Giselle et celui des autres sans. Giselle permet d'abord de montrer un large gamme artistique et technique, de la légèreté des débuts à une approche aussi cérémonielle que cérébrale après l'entracte dans des gestes encore plus maitrisés pour lesquels la profondeur de l'éternité a remplacé l'allégresse. Giselle semble tenir autant du rite de passage que de l'entrée dans un club fermé au sein duquel les ballerines pourraient dire "J'en suis".

Giselle est un ballet avec orchestre, ce qui nous impose de nous coltiner la musique d'Adolphe Adam, son romantisme atténué qui frise la musique légère. A chaque fois que la partition pourrait s'emporter, même avec les grosses ficelles des cordes et des cuivres, l'orchestre reste sur le tarmac ou enfoncé dans sa fosse. Tout est moins lourd que chez les russes, les Tchaïkovski, les Prokoviev, mais à force de se comporter comme un compositeur de variétés avant l'heure, rien n'imprime, peut-être à dessein pour que seule la danse domine. Et l'exploit réside dans cette capacité à sublimer les danseurs malgré cette musique insipide, ce robinet d'eau tiède romantique sans risque, ni personnalité. Tout doit s'effacer devant le virtuosité.

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Fallait-il y aller ? Giselle est un pèlerinage obligé. Que l'on aime on non, cette forme classique, il est difficile de s'en détacher tellement ce ballet nourrit tant de formes chorégraphiques.
Et Bleneun ? Un peu bleue. Je sais... commentaire facile et presque gratuit mais son désir de perfection l'empêche de montrer une part d'elle-même qui la relierait au rôle et encore plus aux spectateurs. L'événement était le 18 mai pour les adieux de Myriam Ould-Braham.
Et les danseurs ? Ils veulent bien faire dans ce ballet des ballets, qui est avant tout le ballet des ballerines.

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