Le Théâtre Populaire de Qualité s'appelle Sentinelles au Théâtre du Rond-Point (8 février 2024)

Le théâtre populaire de qualité n'a pas besoin de définition mais de pièces et une des meilleures illustrations pourrait être Sentinelles de Jean-François Sivadier qui, dans un décor économe, parle d'amitiés, de musique, de savoirs, de transmissions sans perdre de temps et encore moins le nôtre.


Il est bon de retrouver Sivadier un an à peine après sa mise en scène d'Othello que l'on aurait pu rebaptiser Iago tellement le personnage joué par Nicolas Bouchaud, un de ses vieux compagnons de route, prenait de l'espace au point d'effacer le maure de Venise. J'avais découvert Sivadier dans sa pièce fil rouge Italienne avec orchestre, créée en 1996, racontant des répétions sous tension et humour de La Traviata; pièce qu'il ne cesse de jouer et de faire rejouer depuis sa création, et qui se transforme en Italienne, scène et orchestre dans un dispositif original avec une seconde partie vue de la fosse d'orchestre comme les musiciens.

Sentinelles raconte l'histoire de trois hommes qui grandissent pour let par a musique jusqu'au concours Tchaïkovski, trois amis prêts à se battre à propos de Mozart. Qui se bat encore pour Mozart, cette noble cause ? "Tout Mozart ?" dit un des pianistes, sur un ton ironique qui frôle la moquerie, quand un des deux autres lui dit qu'il aime Mozart. Ce dernier est le plus formulaïque des génies, néologisme réservé aux petits maitres, si souvent répétitifs. Les compositions de Mozart peuvent souvent se ressembler et être interchangeables jusqu'à ce qu'émergent le RequiemLa Flûte EnchantéeDon Giovanni, La Messe en ut. Et ces chefs-d'œuvre ne sont pas une éruption, une exception. Chacun n'est une galaxie en perpétuelle expansion au fil des écoutes.

Jean-François Sivadier excelle dans la dialectique amicale, ces discussions vives où la mauvaise foi alterne ave la passion. Il ne propose pas une pièce sur l'amitié, sur la musique, sur la transmission. Ces trois hommes ne se disent pas qu'ils s'aiment -et les hommes se disent-ils qu'ils s'aiment? Et pourquoi utiliser un même mot, dans cette langue française si pauvre finalement, pour l'amour et l'amitié? Sentinelles n'est pas une pièce sur, ni une pièce à thèse mais une pièce en rythme et en mouvement qui embrasse de nombreux thèmes sans s'appesantir. La pièce nous demande si l'émotion est l'alpha et l'oméga de votre rapport à l'art, à la création. Notre ressenti ne peut-être l'unique vecteur d'appréhension d'une œuvre. Tout art charrie plus que des sensations si riches et si profondes soient-elles.

Sivadier ne contourne pas la musique. Elle est là. On l'entend et les comédiens ne font pas semblant de jouer sur un piano qui occuperait toute la scène. Chacun joue à son tour comme un acteur joue -pas comme un pianiste- ou comme un sportif car avant les scènes chorégraphiées en musique, les acteurs se mettent de la magnésie sur les mains, athlètes qu'ils sont de leur art, mettant leur corps et leur âme au service d'une partition. La musique est d'abord un prétexte pour parler de transmission, d'enseignement, de partage. Sentinelles parle des pédagogues qui enseignent un instrument -mais cela pourrait être tant de choses - et font progresser leurs élèves toute une vie. Ces trois pianistes s'admirent, se regardent, échangent. Leur musique ne serait pas le même, et moins bonne, sans les autres. Jean-François Sivadier exalte ce cercle en mouvement qui fait que la musique ne cesse de vivre, de se régénérer, des décennies, des siècles après avoir été composée car le jeu et le style ne sont jamais fixés. Les versions canoniques ne sont qu'un leurre

De ses pièces, on pourrait dire que l'on s'y distrait intelligemment. De strate en strate, il sait s'adresser à plusieurs publics, plus ou moins cultivés et invitent ceux qui sauraient moins à vouloir en savoir plus. S'intéresser au piano, à son interprétation et à la musique classique est un plus selon la formule que l'on retrouve dans les offres d'emploi mais en rien un pré-requis.

Jean-François Sivadier est disert, volubile, avec des comédiens maîtres en dialectique, et il excelle sans décor. Il n'y a presque rien sur scène, une barre de projecteur, un grand drap à terre qui sera dressé en fond au bout d'une heure. L'apparente parcimonie lui va mieux que l'habillage même chiche et et symbolique, tout en rideau de douche plutôt qu'en tentures italiennes, comme dans Othello au printemps.

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Faut-il y aller? Cette pièce se joue depuis 2021 et ne devrait pas arrêter de tourner. Croisons les doigts pour qu'elle reparte pour un tour.
Fallait-il retourner au théâtre du Rond-Point? J'y suis allé pour la première fois pour voir Les oiseaux d'Aristophane mis en scène par Jean-Louis Barrault en 1985. Et la programmation est plus alléchante depuis le départ de Jean-Michel Ribes malgré Le grand mezzé (2004). 
Faut-il lire Thomas Bernhard? Je vous le dirai plus tard...Jean-François Sivadier réussit l'exploit de de me donner envie de lire Le Naufragé de cet auteur dont le misanthropie m'a toujours rebuté et dont le livre inspira cette pièce.
Faut-il écouter Mozart? Oui! Mais pas tout...

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