2023: Und der Gewinner ist!

L'avantage de noircir des carnets est de ne pas laisser ses souvenirs obscurcir les failles de sa mémoire. En relisant mes notes et en parcourant mon calendrier, six moments surgissent.

  • Richard III aux Gémeaux à Sceaux (20 janvier 2023): comment dit-on "guichets fermés" en allemand? Ou comment une pièce de Shakespeare jouée par une troupe allemande dans un théâtre de banlieue déplace les foules, les captive et montre que la lutte pour le pouvoir est un tragique éternel humain, si humain. Il ne s'agit pas tant de la mise en scène de Thomas Ostermeier que de sa capacité à faire vivre, comme un moment unique, ce texte vieux de plus quatre siècles grâce à la troupe de la Schaubühne, à commencer par Lars Eidinger qui, pour au moins un soir, ce 20 janvier 2023, portait la couronne du meilleur acteur du monde.
  • Le Journal de Paris au Théâtre de la Porte Saint-Martin (7 février 2023): Edouard Baer est un bateleur, un saltimbanque à l'ancienne qui n'est jamais meilleur quand il célèbre un Paris dépareillé, suranné et actuel. Son grand art est de nous déstabiliser tout en douceur et de nous laisser juge de saynètes et de numéros dont on ne sait pas toujours s'il s'agit de l'art, du cochon ou de la queue de poisson. Il célèbre dans la joie et comme personne un art modeste et bancal qui peut basculer, en quelques instants, vers la grâce ou le pathétique.
  • L'Art de la fugue à la Maison de la Radio et de la Musique (18 mars 2023): avec Leonardo García Alarcón à la baguette, j'ai eu l'impression d'assister à la naissance de la musique occidentale grâce à cette œuvre inachevée de Bach qui repose sur six notes. Je comprends alors que la musique est une affaire simple, faite de répétitions et aux infinies capacités de réinventions. Cette œuvre austère ne se laisse pas tout de suite attraper et se mérite. Mais plus on la pratique, plus elle éclaire tout ce que l'on écoute, d'une autre partition de Bach à une chanson de Taylor Swift. Je me moquais de mon père quand il disait que tout procédait de Bach. Peut-être qu'il n'avait pas tort...
  • The Köln Concert par Thomas Enhco et Maki Namekawa à la Philharmonie de Paris (5 avril 2023): le légendaire concert de Cologne aurait-il été encore plus légendaire s'il n'avait pas été enregistré? Les amateurs se seraient repassés le mot de ce pianiste pénétré et mélodique qui a livré une de ses meilleures prestations alors qu'il n'en avait pas vraiment envie. Thomas Enhco et Maki Namekawa ont libéré ces quatre parties (ou selon le disque, deux parties dont trois sous-parties). Cette heure et quelques minutes ne tiennent plus du hasard et deviennent une composition que les musiciens vont pouvoir se transmettre, nous faire vivre dans toute la dimension d'une salle de concert.
  • Mère au théâtre de la Colline (1er juin 2023): Wajdi Mouawad pratique un théâtre à l'estomac qui ne laisse pas le spectateur insensible. Il nous invite à parcourir sa mémoire familiale en évoquant notre mémoire collective avec la présence étonnante sur scène de Christine Ockrent qui reprend son meilleur rôle, celui de présentatrice du journal télévisé. Il raconte comment un fait d'actualité, ici la guerre au Liban, est d'abord une suite d'histoires humaines, de déchirements et que la distance qu'elle soit géographique et temporelle n'efface pas les tourments de la guerre. Chez Mouawad, il y a deux types de personnes, celles qui ont fait l'expérience de la guerre et les autres. Plus nous voyons ses pièces, plus nous mesurons notre chance d'appartenir à la seconde catégorie.
  • Drive Your Plow Over the Bones of the Dead au théâtre de l'Odéon (9 juin 2023): en sortant de cette pièce, l'impression d'avoir vu théâtre m'emporta, ce qui n'est pas toujours le cas et mérite d'être précisé, tellement l'équilibre du texte (l'auteur), du jeu (les acteurs) et de la proposition (le metteur en scène) ne s'accomplit pas de manière automatique et peut me laisser avec un mélange hybride et peu digeste (en bon français, une bouillie). Là, je retrouvai la force du récit qui m'avait soufflé dans The Encounter, avec une pièce portée par des acteurs anglais dont on ne dira jamais assez qu'ils sont les meilleurs du monde. Ce soir, Amanda Hadingue avait (presque) remplacé au pied levé Kathryn Hunter sans que nous ne notions l'once d'une baisse de tension dans cette narration enlevée, sublimée par des idées, des détails qui ne sont jamais des trucs ou des gadgets.


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