Un enfant ou la paix? Andromaque au Théâtre de l'Odéon (28 novembre 2023)

Faut-il sacrifier son enfant pour avoir la paix? Pas la paix des ménages mais la paix des états. Stéphane Braunschweig assume le double héritage classique et moderne d'Andromaque pour que l'héroïne du jour soit d'abord une mère.

(c) Simon Gosselin

"Pour une fois, ils ne finissent pas à poil" note L. en sortant. Nous avions quitté l'Odéon en juin avec la formidable pièce de Simon Mc Burney où l'uniforme officiel, malgré l'été si proche, était plus la doudoune que le string ficelleNous avions assisté à un grand récit mené tambour battant et servi par une mise en scène inventive durant laquelle une idée n'était jamais un simple truc mais  une manière d'accompagner, d'atténuer, d'accentuer, de décaler ce que la récitante partageait ou défendait.

En relisant un classique comme Andromaque, les metteurs en scène ont trois options : lui donner une coloration contempo­raine (les soldats à bottes cirées marchant au pas de l'oie n'ont pas chômé), replonger dans une forme originelle en toges et couronnes d'olivier ou le jouer en costumes d'époque, à la mode de Racine, comme l'année de la création. A ce titre et à titre de paren­thèse, on pourra regretter que la Comédie Française n'ait pas proposé un Molière dans une (fausse) forme originelle pour le 400e anniversaire de se naissance en 2022. En fuyant la provoc' et les culs nuls, et en privilégiant les racines grecques de Racine, Stéphane Braunschweig, le metteur en scène et directeur de l'Odéon, démontre toute la modernité de d'AndromaqueIl fait le choix d'un pont entre l'antique et le moderne. Les acteurs portent des vêtements d'aujourd'hui et se muent dans un décor minimal, un mare de sang, signe de l'absence de sérénité et annonciateur que les personnages doivent sortir de cet état de guerre sur lequel ils marchent. Hors l'effet esthétique réussi, très Rothko, de ce rouge profond, ce cercle est celui de l'arène, de la corrida dans lequel les protagonistes vont combattre à coups de mots - la violence physique n'est jamais montrée- dans une lutte à mort, dialectique, toujours dans ces duels qui font et défont les allégeances, qui alternent entre désirs politique et intime.

Andromaque est une pièce politique mais pas seulement parce qu'elle montre comment les enjeux de guerre et de paix s'immiscent dans l'intime et mettent les protagonistes face à des choix impossibles. Elle est politique précisément parce qu'elle montre les limites du champ politique, ce qu'il ne peut pas atteindre car il touche au plus profond de l'être et combat le devoir, la raison ou les convictions. Dépassés par leurs affects, ces puissants n'agissent plus en stratèges et n'arrivent plus à mesurer les effets de bord de leurs décisions. Le port de micros permet d'atténuer l'emphase et de renforcer ce sentiment d'intimité dans une pièce où les enjeux de coeur se mêlent à la prise du pouvoir, à l'éradication des troyens ou à la vie sauve d'un fils.

En sortant, S. déclare qu'évidemment une mère choisit son enfant au-delà de toute considération, impression renforcée par le dernier plan de le pièce quand après l'ultime vers prononcé, hors texte comme il y a des hors champs, Andromaque revient sur scène Astyanax dans ses bras. Le choix aurait pu être tout autre et il ne faut pas chercher bien loin pour trouver des résonnances contemporaines et médiatiques pour ce grand texte à la langue intranquille, sèche, droite, à l'hémistiche avec la seconde partie du vers expliquant souvent la première.

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Faut-il y aller? Barthes écrivait dans Mythologies "Racine est Racine" comme un référence auto-justifiante et incontestable. Dans Mythologies 2: le retour (et après avoir vu la mise en scène de Stéphane Braunschweig), il aurait pu poursuivre par "Racine, c'est profond".
Faut-il donc y aller? Etre moderne, c'est être classique. Quand la mise en scène sait à la fois respecter le texte -ici, immuable, précis, à l'os- et proposer une explication non didactique de la pièce, elle convainc et séduit.
Et les acteurs?  Chloé Réjon dans le rôle d'Hermione est un peu effacée, Bénédicte Cerutti impeccable et Alexandre Pallu/Pyrrhus formidable de violence qui s'assagit au point de s'attendrir et de se perdre.
Mais qui était Andromaque? Pierre Judet de La Combe vous dit tout.

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