Huitième symphonie de Mahler à la Philharmonie de Paris (24 novembre 2023)

Dilemme créatif éternel: faut-il sacrifier son art au spectacle? L'exigence de l'artiste va-t-elle contre le désir d'immédiat des spectateurs qui en veulent pour leur argent? Avec la Huitième Symphonie de Malher, la réponse décevra les esthètes, battus par une œuvre dont la singularité est sacrifiée sur l'autel de la monumentalité. Damné public...



Du monde au balcon

L' attraction que suscitent Malher et ses symphonies reste un agréable mystère. La salle est pleine vendredi 24 novembre 2023 à la Philharmonie de Paris pour écouter la Huitième Symphonie du dernier des classiques et premier des modernes. Sa musique n'est pas simple mais elle est spectaculaire. Sa monumentalité déplace les foules et encore plus ce soir dans un des plus impressionnants dispositifs de la musique classique. Cette symphonie fut vite rebaptisée la "Symphonie des Mille" parce qu'il y eut plus de 1 000 musiciens et choristes quand elle fut créée. Pour une fois, le fait qu'il y ait plus de personnes sur scène que dans la salle n'est pas un échec. (Blague de musiciens: Bing! Roulement de caisse claire et bruit de cymbale). Quand cette œuvre fut finalement jouée en France, elle le fut dans ces temples de l'acoustique foireuse, le Palais des Congrès et le Palais Omnisport de Paris-Bercy -toujours des palais...- à cette époque Grand Echiquier de démocratisation sans nuance de la musique classique au détriment de l'un de ses traits constitutifs, le son. Ce soir, ils sont moitié moins et occupent toute la partie derrière la scène. L'entrée des choristes descendant les marches le long des gradins a des allures de défilé du ballet de l'Opéra de Paris, le port du cou en moins. 

Le premier mouvement est tout en puissance, triomphal. Tout est sorti, même l'orgue que je vois pour le première fois à l'œuvre dans cette salle. Malher est emporté par sa mission mystique et musicale. Il veut tellement en mettre plein la vue qu'il commence par la fin. Souvent, une symphonie s'expose, s'additionne, puis s'amplifie pour finir dans une cavalcade d'instruments et de lenteurs. Mais après sept symphonies, Malher s'embarasse moins de convenances. Il semble vouloir nous faire savoir qu'il a triomphé et la suite a des allures de flashback comme pour nous  montrer comment on en est arrivé là. Daniel Harding, le chef d'orchestre, comme pour marquer son adhésion au projet du compositeur, s'empresse comme s'il voulait tout de suite conclure alors qu'il vient de commencer. Au moment des saluts, mon voisin, un vieux californien, entame la conversation. Il m'a vu prendre des notes pendant le concert.
- Are you a critic?
- Kind of...
Tiens, kind of, c'est un bel autoportrait.
Il regrette cet empressement, qui a un peu forcé l'orchestre et il se demande si Daniel Harding n'est pas trop jeune pour l'œuvre, lui qui a un an de plus que Malher quand il finit de composer cette symphonie. Le visiteur venu de San Francisco se plaint un peu de l'acoustique mais dans une conclusion œcuménique, avant de nous serrer la main, vieux amis de trois minutes que nous sommes, nous nous accordons que tout dépend de l'endroit où nous sommes assis, surtout avec ce type de bazar dont le son fuse de partout. Comme souvent dans une symphonie malhérienne , les cuivres se baladent. Ce soir, ils sont dans les gradins et cela fait son petit effet, ce son lointain. A la fin de ce premier mouvement, Daniel Harding est épuisé. Il boit, se sèche le front comme un boxeur, en contrebas du pupitre, en attendent que deux chanteurs le rejoignent. Tout le monde est en goguette, musiciens, chanteurs. Harding est parti trop vite. Comme le disent les commentateurs des matchs de football, il a confondu vitesse et précipita­tion, puissance et tonitruance, univers et cosmogonie. Les deux dernières comparaisons sont de moi, pas de Grégoire Margotton.

Le deuxième mouvement est, d'une certaine façon, plus malhérien, plus proche de ce que son art a de spécifique, d'aimable, d'idiosyncratique. Il délaisse le lyrisme mystique pour tendre vers le romantique sens verser dans le romantisme. Les instruments s'interpellent, se répondent, s'ignorent. Le tumulte un peu retombé, le premier violon dialogue avec les chœurs. L'instrument et son interprète n'ont pas peur de cet effet de masse. Toutes ces voix, douces, posées, l'accompagnent. L'équilibre se fait. Le monument devient délicat comme si, devant la cathédrale de Laon nous ne regardions plus qu'une tête de saint.

************

Faut-il aller? Pas toujours...La monumentalité déplace les foules et justifie de voir un concert en salle et de ne pas écouter cette œuvre à la maison.
Et sont-ils vraiment 1 000 les mille? Nous partîmes 500 et nous restâmes 500.
S'ils étaient 1 029 lors de la création de cette symphonie le 12 septembre 1910 à Munich, ils étaient 469 ce 24 novembre à la Philharmonie. Ils furent certainement 469 le lendemain, ce qui nous fait 938.

Commentaires

Articles les plus consultés