Un requiem allemand à la Maison de la Radio et de la Musique (14 novembre 2023)


(c) Getty

Ecouter le Deutsches Requiem chez soi revient à vouloir vivre le Grand Huit devant un écran de télévision. Peu de partitions supportent aussi mal le passage de la salle au salon que celle-ci de Brahms. On retrouve là les propos du chef roumain Sergiu Celidibache qui refusait d'enregistrer des disques -son fils et se femme se sont rattrapés après sa mort- et qui disait que "le son ne peut se vivre ou s'expérimenter qu'à l'intérieur de son espace d'origine".  Ici, l'espace d'origine, c'est la salle et plus encore l'instrument qu'il soit un objet comme un violon ou un organe vivant comme la voix. Placé derrière le chœur, comme je le fus à la Philharmonie de Paris en mars 2017 la dernière fois que je l'ai écouté en concert, je perçois toute vibration vocale qui se complète avec sa voisine et les instruments. Le fait que l'auditorium de la Maison de la Radio et de le Musique est presque plein conforte cette réalité musicale et acoustique alors que j'ai rarement vu cette salle complète sauf pour Malher dont les symphonies, sont de telluriques moments qu'il faut écouter et vivre avec les musiciens. Tout ce petit monde aurait pu rester au chaud chez soi, pendant cet automne si pluvieux, alors que le concert est diffusé au même moment sur France Musique.

Cette salle est un mystère. Finie d'être restaurée alors que le Philharmonie allait ouvrir ses portes à l'autre bout de Paris quelques semaines plus tard, elle n'arrive pas à attirer assez de mélomanes de l'Ouest parisien malgré deux orchestres et deux maitrise en résidence et un média populaire dédié (France Musique). Cette absence partielle de public au Sud de Passy et à l'Est d'Auteuil infirme la théorie de Bourdieu selon laquelle la musique classique serait un domaine réservé de la bourgeoisie. 

Ce Requiem Allemand des allures de  cahier des charges pour chef d'orchestre dont le rôle est d'aligner et d'équilibrer les multiples couches qui composent cette œuvre. Rarement les musiciens et les choristes apparaissent à la fois comme des individualités musicales et comme des indissociables parties d'un tout. Et c'est là que Cristian Măcelaru entre en scène. Il remplit dépasse le contrat. Il sait  en permanence maintenir l'équilibre entre le cérémonial et l'exaltation dont la combinaison peut vite déborder vers l'académisme qu'il évite sans avoir besoin de forcer. Il arrive à tenir une forme restreinte du romantisme avec ce qu'il faut d'envolées pour nous rappeler que nous sommes tout de même dans la seconde moitié du XIXe siècle. Le génie allemand de cette période fut de savoir être puissant et léger à la fois ce que Cristian Măcelaru arrive à respecter note à note. Sous sa baguette, cette puissante machine qu'est l'Orchestre National de France fonctionne de manière impeccable sans jamais s'emballer. Le chef arrive à maitriser les degrés de lenteur sans qu'elle soit cérémonieuse, sans qu'elle sente le marbre, tel un ralenti permanent qui, à force, deviendrait stylisé, du pire effet, publicitaire et vain.

On peut s'interroger sur le titre modeste, si modeste, un requiem allemand, pas le requiem, allemand. Il faut voir dans cet article indéfini comme une tentative une exploration que nous font partager le chef et son orchestre. Dans le livret, Christian Wasselin écrit que ce Requiem Allemand est "destiné à réconforter les vivants", propos qui ne cessent de se vérifier à mesure que les sept mouvements se déploient. Des moments lumineux traversent ce Requiem que l'on ne pourrait pas qualifier de joyeux. Il y a là une des plus belles manifestations de le vision chrétienne de la mort qui s'efforce de transcender la tristesse, voire protestante tant le dolorisme semble absent. Et qui a dit que l'allemand était dur, martial? Il est ici doux, mélodieux, enveloppant, rassurant, maternel comme une langue.

Le public en redemande et chose rare pour un Requiem, il se voit gratifier d'un bis.


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Fallait-il venir? Bien sur même si j'ai raté la première partie que j'ai écoutée depuis sur France Musiques.
Faut-il y retourner? Il faut écouter ce Requiem dans une salle à chaque fois que l'occasion se présente et fuir les églises dont le son minéral renvoie trop les différentes strates au risques de les emmêler et de perdre ces dimensions distinctes et unies.

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