Ivo en Ville - Après le répétition/Persona (16 novembre 2023)



Quand vient le temps de choisir une pièce, un concert, je refuse d'être systématique (ce qui est en soi, un systématisme...), de faire confiance à ce que j'ai aimé considérant une représentation réussie comme une forme de génie, un miracle, la rencontre inespérée entre un texte, des acteurs, une mise en scène et le public. L'habitude m'a tellement déçu...Ivo van Hove constitue une exception même si je ne vais pas tout voir tant son rythme est celui d'un forcené. En novembre au Théâtre de la Ville, il proposait, en miroir, deux pièces d'Ingmar Bergman, Après le répétition et Persona

Et à ma grande surprise, je suis masochiste, mais moins qu'Ingmar Bergman. Plus je rentre dans son œuvre, moins je l'aime, lui plus que son œuvre. La sensation de manger du gravier m'avait saisi en découvrant Persona au Festival Lumière à Lyon, expérience néanmoins moins pénible que Cris et chuchotements vu au Champollion. Je supporte de moins en moins son côté pervers, cette jouissance à nous montrer l'aspect le moins reluisant de ses personnages. Son cinéma et son théâtre n'ont pas changé. Mais ma sensibilité évolue vers moins de facilités ou de satisfaction dans une forme de complaisance, elle aussi systématique. Je repense à ma mère revenant furieuse d'Impitoyable que je lui avais recommandé et qu'elle avait vu avec mon frère de 12 ans à l'époque. La différence entre Bergman et Eastwood est que ce dernier ne considère pas ses personnages comme, au mieux, une ribambelle de médiocres. Chez Eastwood, les êtres qu'ils nous montrent peuvent être des éclopés, des imparfaits, des boiteux mais ils restent avant tout dignes même s'ils doivent aller loin chercher cette dignité.

Persona permet un déploiement scénographique à la hauteur de mes souvenirs du talent d'Ivo van Hove. Au lever de rideau de cette seconde pièce du soir, Emmanuelle Bercot est allongée nue de dos, sur une salle d'opération. On pense à l'Agnus Dei de Francisco de Zurbarán. Et au-delà de Zurbarán, il y a quelque chose de très flamand dans la plastique de cette première scène avec un fond plat, terne et monocolore. Je pense aux portraits de Frans Hals, un peu à ceux de Rembrandt. Puis, les murs tombent, littéralement, violemment, et voici nos deux protagonistes sur une île dans un décor simple, dépouillé que l'on imagine naturel. Et nous assistons à un des rares moments joyeux de ces deux heures trente quand les deux actrices se retrouvent prises dans une tempête estivale et ludique. On comprend alors pourquoi Ivo van Hove a mis ces deux pièces face à face. L'art enferme alors que le nature libère. L'infir­mière de Persona est volubile sur cette île figurée par un rectangle entouré d'eau, ce qui donne un beau motif au plateau. Elle nous fait des confidences qui semblent la soulager et la faire souffrir -les gens sont toujours compliqués chez Bergman- alors que sa patiente mutique -une ancienne actrice- ne parle pas plus mais revit. Se profile aussi ce désagréable lieu commun de tant d'œuvres que dans folie n'est pas fou celui que l'on croit. Pff...

Ivo van Hove a convoqué des vedettes sur scène, geste plutôt rare dans le théâtre public qui considère que les stars sont, dans l'ordre, le metteur en scène, le texte et la salle de théâtre elle-même alors que le théâtre privé est drogué à le tête d'affiche. Ici, les vedettes sortent plus du cinéma d'art et d'essai que d'Hollywood Boulevard. Nous avons droit à Emmanuelle Bercot et Charles Berling, déjà vu dans l'excellent Vu du pont mis en scène par Ivo van HoveAvec tout ce que ce mot charrie de circassien et d'athlétique, loin du créatif et de l'artistique, il faut souligner la performance d' Emmanuelle Bercot qui sait user de son corps pour jouer non comme une danseuse on comme une pantomime mais comme une actrice à qui on aurait coupé le son. On pourrait croire que je me moque des vedettes ou que, pire, je joue les snobs. Je le confesse j'ai vu, il y de lointaines années, Alain Delon à Marigny et Michel Sardou au Théâtre de le poste Saint-Martin et ce fut calamiteux . Je n'arrive pas à me rappeler qui fut le plus mauvais des deux même si la prestation de Sardou fut sauvée par Brigitte Fossey qui jouait à ses côtés et aurait pu le faire passer pour Marlon Brando chez Elia Kazan tant elle était désastreuse. A ce point, c'était de le pataphysique. 

Le soirée avait commencé par Après le répétition, pièce qui expose les banals malheurs d'un metteur en scène sentencieux, incapable de vivre, d'avoir des relations qui ne seraient pas animées par cette nécessité hors sol et excessive de le scène. Il est enfermé dans son art avec moins de prise sur le monde. Tout est hystérisé, excessif, impossible, en somme épuisant. Je repense à Tchekhov, le père de ce théâtre de l'intérieur et à se capacité à aller au fond de ses personnages sans systématiquement les énerver. Bergman conçoit notre vérité beaucoup dans les cris et moins dans les chuchote­ments et encore moins dans les silences. L'intérêt principal de ce morceau de théâtre réside dans ce jeu de miroirs, dans cette autobiographie à peine voilée, sans narration dans laquelle Ivo von Hove s'engouffre. Lui et Bergman se révèlent, un peu. Le metteur en scène incarné par Charles Berling dit "J'ai toujours raté Tartuffe", sa mise en scène la moins réussie à la Comédie-Française. Et Ivo von Hove a bon gout. On le savait. Il écoute du Bowie, du Brian Eno , du Scott Walker et du Gilbert Bécaud dont l'indispensable et ironique "La solitude, ça n'existe pas", musiques diffusées pendant Après la répétition.

Nous sommes les témoins, et presque les acteurs, d'une mise en abime de la vie se fracassant contre le théâtre car nous aussi, le public, nous isolons dans cette salle pour nous confronter -à moins que nous ne voulions fuir?- à autre chose qu'aux tourments qui agitent le monde extérieur. On se demande ce qui motive Ivo van Hove, toujours très à l'aise dans la représentation du pouvoir, à s'imposer Bergman, ses affres quotidiens, ses oppressions psychologiques, toujours étranger aux secousses de l'époque et pour qui vivre n'est que souffrance.

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Et sur quel barreau se situe Après la répétition/Persona dans l'échelle d'Ivo (avec Kings of War comme étalon suprême)? Plutôt en bas en de l'escabeau...
Faut-y aller? Comme sa production est prolifique (plus de 100 mises en scène en 30 ans), il n'est pas nécessaire de se précipiter et mieux vaut attendre une meilleure illustration de son immense talent (Mon bel animal en mars 2024 et en néerlandais à la Villette).
Pourquoi y aller? Pour nourrir sa curiosité, pour voir un grand metteur en scène (en petite forme) à l'œuvre et pour se rappeler que Bergman n'est pas notre suédois préféré. Je préfère les névroses d'August Strindberg.

Que faut-il penser de Charles Berling? Depuis Ridicule (que je n'ai jamais revu) où il était pas mal en jeune premier en mission, je n'arrive pas à le trouver bon mais comme il est toujours là et qu'il impressionne Ivo Van Hove ("un immense comédien"), je me demande si je n'ai pas tort.

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